BCE, dette, Syriza : décryptage d’une tragédie grecque

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La banque centrale européenne a décidé ce mercredi 4 février de priver les banques grecques d’une partie de leurs sources de financement. Les choses s’accélèrent : le premier ministre Alexis Tsipras est désormais entre le marteau de la BCE et l’enclume des urnes… ou inversement !

Lire la suite dans LeFigaro.fr-Vox Economie du 5 février 2015

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Restructuration de la dette en Grèce : combien ça va nous coûter

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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Syriza souhaite renégocier le montant de la dette de la Grèce, l’économiste Gérard Thoris se penche sur les conséquences qu’engendrerait une telle restructuration.

Paru dans FigaroVox du 28 janvier 2014

Les 1100 milliards de Mario Draghi : « trop peu et trop tard »

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FIGAROVOX ANALYSE – Alors que le président de la BCE a annoncé jeudi dernier un vaste programme de rachat de titres, l’économiste Gérard Thoris analyse la portée réelle de cet «helicopter money».

A lire dans FigaroVox du 26 janvier 2915

 

La guerre des changes : un échec de la gouvernance mondiale

Publié dans La Croix du 26 janvier 2015

En ce début 2015, les amateurs de sensations fortes sont déjà comblés. En matière de changes, ils ont assisté à la lente appréciation du dollar face à l’euro (+15% depuis le 1er juillet 2014), subi l’effondrement provoqué du rouble face au dollar (50% sur la même période) ou à l’euro (seulement 40 %), découvert avec stupeur l’envolée du franc suisse (+20% en trois jours). Mais ce n’est pas tout ! Hors Europe, dans le dernier trimestre 2014, le yen s’est déprécié de 20 % par rapport au dollar. Dans ce contexte, le renminbi chinois paraît être un oasis de stabilité par rapport au dollar, mais il s’apprécie de 17% en six mois par rapport à l’euro. Pour compliquer la donne, le prix du pétrole, exprimé en dollar, a baissé de 50 % en un an tandis que les autres matières premières sont à un cours plancher historique.

Manifestement, nous entrons dans une nouvelle phase de la crise mondiale née des subprimes. Il est facile de comprendre que, à l’incertitude qui pèse sur le rythme de la demande en volume s’ajoute désormais une incertitude sur le prix auquel il sera possible de vendre sur les marchés extérieurs. Pour les membres de la zone euro, l’appréciation du dollar est une opportunité… dans la zone dollar dont, pour l’instant, la Chine, mais ni au Japon, ni en Russie, ni même au Brésil.

Cette incertitude est un échec pour les institutions internationales.

C’est un échec pour l’Organisation mondiale du commerce où les négociations portent sur une limitation des barrières douanières qui ne représentent, le plus souvent, que quelques points de la valeur des échanges. Ainsi, par exemple, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement en cours de négociations entre les Etats-Unis et l’Union européenne, envisage de supprimer totalement les droits de douane sur les automobiles. Or, ils représentent 10 % de la valeur des voitures européennes importées aux Etats-Unis mais seulement 2 % pour les voitures américaines importées en Europe. Que représentent ces chiffres, gérés sur le long terme, par rapport à des basculements de change de 20 % en moins de six mois.

C’est aussi un échec pour le Fonds monétaire international. Certes, l’institution gardienne des relations monétaires internationales autorise le régime des changes flottants. Mais les fluctuations d’envergure destinées à se donner un avantage en termes de compétitivité sont normalement proscrites.

Enfin, c’est un échec pour la coordination des politiques macroéconomiques. Face à la crise des subprimes, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon ont pratiqué le quantitave easing, c’est-à-dire le rachat de titres publics par leurs banques centrales respectives. La zone euro ne l’a pas fait. Cela expliquerait la sous-évaluation du dollar de ces dernières années. Aujourd’hui, les politiques monétaires se retournent : La zone euro envisage un quantitative easing quand les Etats-Unis en sortent. Cela expliquerait l’appréciation du dollar… et du franc suisse. Peut-être ! Mais si cette politique avait été menée parallèlement en Europe et aux Etats-Unis, le problème ne se serait pas posé dans les mêmes termes.

Une dernière série de faits confirme qu’aucune de ces évolutions n’est le fruit d’une causalité purement marchande. Lors du sommet de Fortaleza, en juillet 2014, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont confirmé leur volonté de construire des institutions concurrentes du FMI et de la Banque mondiale. A terme, ils annoncent explicitement leur volonté de se passer du dollar pour leurs échanges internationaux. Ils sont passés à l’acte puisque, depuis 2006, la Russie a mis en œuvre un programme d’achat d’or en lieu et place d’une détention de bons du Trésor américains. La Chine a cessé d’acheter ces mêmes bons du Trésor et préfère des biens réels, à la rentabilité incertaine, comme l’aéroport de Toulouse, pour prendre un exemple proche de nous. Or, trois des pays du BRICS – Brésil, Russie, Afrique du Sud – dépendent, pour leur croissance, du prix des matières premières. La maîtrise de ces prix représente une carte maîtresse dans le jeu qui se noue autour de la monnaie mondiale, pour la confirmation ou l’infirmation du rôle central du dollar. Espérons que cela ne reste qu’un jeu !

La gifle Piketty à Hollande : oui, la France a besoin d’une grande réforme fiscale… mais pas forcément celle de l’économiste star

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Au cœur de la théorie de Thomas Piketty, la réduction des inégalités avec pour outil privilégié la fiscalité. Mais étant déjà l’une des plus progressives au monde dans notre pays, l’adapter aux besoins des entreprises plutôt que d’en faire une arme sociale semble beaucoup plus pertinent. Et elle deviendrait même une solution aux problèmes de répartition des richesses que l’économiste prétend pouvoir solutionner.

En parallèle avec Philippe CREVEL et Jean-Philippe DELSOL

Pour les abonnés, l’article complet est sur Atlantico.fr du 3 janvier 2015

1° Thomas Piketty, l’économiste auteur du best-seller, le capital au XX1e siècle, vient de refuser la légion d’honneur. Au cœur de sa théorie, la réduction des inégalités avec pour outil privilégié la fiscalité. Dans un ouvrage collectif, intitulé la révolution fiscale il émettait l’idée d’une taxe à 60 % pour les revenus les plus élevés qui a inspiré à François Hollande l’idée de taxe à 75 %, enterrée depuis ce 1er janvier. Si la France devait opérer une révolution fiscale, quelle forme cette dernière devrait-elle prendre ?

Barak Obama a reçu le Prix Nobel de la paix principalement sur la base de son discours « La paix maintenant », donné au Caire le 4 juin 2009. La suite de l’histoire a montré que les Etats-Unis n’avaient pas été la source de paix escomptée, ni directement, ni indirectement. Thomas Piketty a été plus avisé : d’une part, il n’y a aucune chance que son programme soit appliqué dans le pays où son dernier livre est devenu un best-seller ; d’autre part, il est déjà appliqué en France, au moins dans son esprit et la France succomberait à une augmentation du taux de l’impôt sur le capital comme du taux marginal de l’impôt sur le revenu. L’honorer de la Légion d’honneur était une façon de saluer le retentissement de la pensée d’un français aux Etats-Unis tout en esquivant l’application de ses préceptes en France.

Rappelons d’abord que Thomas Piketty n’est pour rien dans la taxe sur les salaires de plus de un million d’euros. Il l’a dit et répété, il est favorable à une tranche à 60 % de l’impôt sur le revenu. Attention, il s’agit d’un taux moyen applicable à l’ensemble du revenu au-delà d’un certain seuil et non, comme dans le système actuel, d’un taux applicable à la part du revenu qui dépasse ce seuil ! Rappelons ensuite que l’ouvrage qui a fait sa renommée internationale propose de taxer le capital à 15 %. Les Américains ont cette gentillesse constante de laisser les autres nations essayer les solutions suicidaires. Ils n’ont jamais eu d’impôt sur la détention du capital et il n’a jamais été question qu’ils en aient un. Par contre, ils ont connu les impôts confiscatoires sur la transmission du patrimoine, ce qui est tout autre chose. Les héritiers ne sont jamais les créateurs ; ils ont une propension assez facile à comprendre à vivre de leurs rentes…

Alors, que peut-on reprocher à cette proposition d’imposition du capital ? D’abord, qu’elle ne réussirait pas à réduire les inégalités de patrimoine. Les très grandes fortunes trouvent toujours le moyen de se mettre à l’abri de l’impôt. Si tant d’entreprises du CAC40 ont choisi une structure juridique avec Conseil de surveillance, n’est-ce pas pour permettre au dirigeant historique de laisser croire que son patrimoine relevait de « l’outil de travail », en tant que Président de ce conseil ? Par contre, les fortunes intermédiaires qui refusent de d’expatrier continuent à être dans la ligne de mire du fisc ! Tout cela serait connu si les services de Bercy jouaient le rôle qui est attendu d’eux dans une démocratie : que chacun puisse savoir, jour après jour, combien de particuliers ont effectué une déclaration de non-résidence et, de ce fait, ne sont plus imposables sur leur patrimoine en France.

Mais ce qui est beaucoup plus fondamental, c’est que Thomas Piketty se trompe d’époque. Essayons d’être marxiste ! Pour Karl Marx, ce fin observateur du système capitaliste au XIX° siècle, ce qui menace le plein emploi, c’est l’insuffisance du capital pour embaucher tout le monde. L’armée de réserve des chômeurs est constituée de ces gens qui ne trouvent pas d’emploi parce que les capitalistes n’arrivent pas à dégager assez de profits pour les embaucher. Cela tient à l’augmentation de la composition organique du capital d’une part, à la baisse du taux d’exploitation d’autre part. N’en déplaise à notre Thomas Piketty, cette situation est aggravée par l’impôt sur le capital ! Or, on peut considérer que la situation présente en France relève partiellement de cette interprétation.

Qui peut croire en effet que nos 3,5 millions de chômeurs vont retrouver un emploi dans les entreprises existantes, avec le capital existant ? Leur destin est presque entièrement suspendu à la création de nouvelles activités, stimulées par un progrès technique tellement exponentiel qu’on n’arrive pas à faire l’inventaire des innovations. Seulement, pour créer de nouvelles activités, il faut des idées – les Français en ont, et à foison – et des capitaux – les Français qui disposent d’un capital n’arrivent pas à l’accroître ; ceux qui disposent d’un revenu n’arrivent pas à le transformer en capital.

2° La flat tax serait-elle une solution adaptée ? Quel équilibre s’agit-il de trouver entre la proportionnalité et la progressivité ?

C’est que, à côte de l’ISF, le système de l’impôt sur le revenu en France reste l’un des plus progressif qui soit. Bien entendu, pour mesurer la progressivité, il ne suffit pas d’indiquer le taux d’imposition marginal maximal ! Il faut indiquer à partir de quel seuil on est imposable, quelle est l’étendue des tranches sur lesquelles s’applique le taux de l’impôt et, finalement, quel est le seuil de déclenchement de la tranche marginale maximale. Il faut aussi considérer la base fiscale imposable et savoir si les taux s’appliquent à l’individu ou au foyer fiscal. Une autre façon de considérer la progressivité d’un système fiscal est de calculer quelle est la part de l’impôt sur le revenu (IR) payée par les contribuables les plus riches. Ce qui est sûr, c’est que le rendement de l’impôt est d’autant plus élevé que la masse des revenus est importante.

Pour des raisons évidemment électorales, les pouvoirs publics, quelle que soit la couleur de la majorité, ont une propension à supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu après l’avoir vidée de sa substance. C’est ce que Manuel Valls applique une nouvelle fois ce premier janvier 2015. Pour sortir de cette facilité, le premier Ministre Michel Rocard a inventé la Contribution sociale généralisée (CSG), qui s’applique au premier euro de revenu. Pour des raisons assez cohérentes, les réformistes estiment que la distinction entre impôt et contribution n’a pas de sens et qu’il faut fusionner l’IR et la CSG. Mais, pour des raisons évidemment électorales, cette fusion se traduira rapidement par une exonération de CSG des revenus les plus faibles…

Un impôt proportionnel au revenu satisfait normalement au critère constitutionnel des facultés contributives. Mais, comme l’avait fait remarquer J.R. Mc Culloch vers 1830 : « à partir du moment où vous abandonnez le principe cardinal d’exiger de tous les individus la même proportion de leur revenu ou de leur propriété, vous êtes à la mer sans gouvernail ni boussole, et il n’y a pas de limite aux injustices et aux folies que vous pouvez commettre ». Il est absolument certain que, aujourd’hui en France, aucun député, et vraisemblablement aucun spécialiste de fiscalité de Bercy ne sache exactement faire le compte de ce qui resterait à l’individu si son employeur lui accordait 100€ d’augmentation de salaire. Entre l’impôt sur le revenu, la CSG, les seuils divers et variés d’allègement des cotisations sociales, le dépassement de seuils pour un certain nombre de prestations sociales, la réévaluation des bourses des enfants, le paiement ou non de la taxe d’habitation, etc. il est devenu impossible de rien prévoir d’avance. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en a fait les frais plusieurs fois et cette ignorance n’est pas pour rien dans la suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu. Il s’agissait de rendre non imposable des gens qui l’étaient devenus à cause de mesures diverses et variées des budgets 2013 et 2014.

3° Quels sont les impôts qu’il s’agirait de revoir en priorité ? Pourrait-on envisager d’en créer d’autres ?

 Il y a certainement une mesure d’importance qu’il faudrait prendre en France, c’est l’interdiction de créer de nouveaux impôts. A tout le moins, on pourrait imaginer une règle budgétaire, voire constitutionnelle, qui interdise de créer un impôt dont le rendement serait inférieur à un certain montant ou dont le coût de prélèvement, y compris les coûts supportés par les agents privés, serait supérieur au rendement. C’était le printemps, le début de l’année 2013 a vu fleurir autant d’impôts nouveaux que de ministères. Un impôt sur les stylos à bille pour maintenir le marché des encriers ; un impôt sur les taxis automobiles pour maintenir la rente des fiacres ; un impôt sur ceux qui n’ont pas la télévision pour délit de civilité ! Chacun trouvera aisément les exemples plus sérieux et plus concrets qui ont été effectivement proposés au Parlement et… votés !

S’il fallait citer un impôt à réformer auquel on ne pense pas nécessairement, il y a certainement l’impôt sur les plus-values. La première chose à faire serait de permettre l’imputation des moins-values foncières et immobilières sur les plus-values financières et inversement. Nous entrons dans une période de déflation et les moins-values risquent de se multiplier. S’il faut maintenir un impôt sur les plus-values, c’est sur la base de leur évolution globale nette. Mais il faut aussi revoir les durées de détention qui servent de seuil de déclenchement aux plus-values immobilières. Celles-ci ralentissent les mouvements de patrimoine. Or, ceux-ci ne sont pas liés à la spéculation, mais à l’évolution de la situation personnelle et professionnelle des familles.

4° Pour l’économiste Thomas Piketty, l’impôt serait le moyen de lutter contre les inégalités. Dans quelle mesure cette conception de la fiscalité peut-elle soulever des problèmes ? Comment mettre en place une fiscalité efficace qu’elle concerne les particuliers ou les entreprises ?

Pour montrer que l’impôt progressif sur le revenu avait été la cause principale de la réduction des inégalités de patrimoine en France au XX° siècle, Thomas Piketty a dû nier l’effet et des guerres et des inflations d’après-guerre. Ce serait simplement risible si cela n’avait ruiné des pays ou des activités. Ainsi, la batellerie française ne s’est jamais remise des destructions de la Seconde guerre mondiale ; la fiscalité n’y a été pour rien. Ainsi encore, les capitalistes qui ont échangé leurs actions dans les sociétés de chemin de fer contre des obligations à 30 ans et 6 % d’intérêt étaient très certainement satisfaits de leur coup en 1936 ; nul doute qu’ils aient déchanté après les inflations de 48,5 % (1945), 52,6 % (1946), 49,2 % (1947) et 58,7 % (1948) ! L’argument ne tient donc pas.

On pourrait tout aussi bien prendre comme adage la formule de Ludwig Von Mises pour qui « « les vieilles firmes n’ont rien à craindre de la concurrence : elles en sont protégées par le percepteur » (L’action humaine, Paris, PUF, 1985, p. 851). En d’autres termes, les fortunes nouvelles sont tuées dans l’œuf au bénéfice des fortunes constituées, qui réussissent toujours à trouver des accommodements avec les pouvoirs publics. Que chacun choisisse son exemple dans l’actualité !

5° Des quels systèmes étrangers pourrait-on s’inspirer ? 

N’importe quel pays dans le monde est devenu candidat au statut de modèle pour les réformes fiscales en France ! Il n’est pas question de dire qu’un pays aurait trouvé la formule magique permettant de tenir les deux bouts de la justice sociale et de l’efficacité économique. Mais chaque pays a au moins tenté quelque chose pour accroître l’efficacité économique du système fiscal. Beaucoup, dont la Suède ou les Pays-Bas, ont procédé à une mise en cale sèche de leur système fiscal pour le fondre à nouveaux frais selon des principes adaptés à la situation présente.

Par contre, ceux qui ont réussi leur réforme ont bénéficié de deux atouts : le temps et la croissance. Le temps permet de mettre les acteurs sociaux autour d’une table et de rechercher un consensus sur les réformes à faire. La croissance permet de tempérer l’effet des réformes fiscales qui se traduisent toujours par des transferts de charges d’un contribuable à l’autre. La France a été épuisée par les réformes fiscales les plus récentes. Sans conception d’ensemble, elles n’ont pas moins abouti à décourager l’initiative économique… et l’opinion publique.

Pourquoi François Hollande doit rester prudent sur la croissance

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FIGAROVOX/TRIBUNE-Pour Gérard Thoris l’année 2014 fut celle où la menace de la déflation est devenue de plus en plus précise. Il rappelle que les économistes ont peu d’outils pour sortir de cette spirale.

Publié dans Lefigaro.fr du 30 décembre 2014

La doctrine sociale de l’Église et l’accumulation du capital : une négligence coupable ?

Publié dans La Croix des 1er et 8 décembre 2014

Dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile, avec la force de conviction qu’on lui connaît, le pape François s’insurge contre ce que, en France, on appelle les licenciements boursiers : « l’économie ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus » (§ 204). Bien entendu, ce cri du cœur ne doit pas être pris pour la lettre de l’enseignement de l’Église catholique en matière sociale et économique et le pape s’en défend expressément (§ 184). Mais, à moins que le sens de la formule ne doive par principe l’emporter sur la rigueur de la réflexion, on est en droit de procéder à une analyse littérale de ce qui ressemble à un impératif catégorique.

Notons d’abord que, en France au moins, « la seule recherche d’économie, alors que la situation économique et financière de l’entreprise est bonne, ne peut justifier un licenciement ». L’exhortation apostolique est pour le monde, et la France en fait partie. Faut-il conclure que, pour le pape François, notre pays représente un modèle de gestion du marché de l’emploi ? On peut en douter au vu du nombre de chômeurs de longue durée qui sont autant d’« exclus » !

Car, pour le pape François, on passe sans solution de continuité du statut de salarié à celui d’exclu. Or, un autre passage de l’exhortation apostolique est d’une virulence extrême. A la vue, très certainement, des bidonvilles d’Argentine, il écrit que « les exclus ne sont pas des ‘exploités’, mais des déchets, ‘des restes’ » (§ 53). Rapprochant les deux paragraphes, on ne peut considérer cette formule comme exacte là où existe une allocation de chômage, surtout quand elle offre une couverture longue, comme en France. S’il est exclu de la société de production, le chômeur indemnisé n’est pas exclu de la société de consommation. Au final, qu’on le veuille ou non, ces « déchets » du pape François renvoient à l’image de l’armée de réserve des travailleurs chez K. Marx. A une nuance près, et elle est de taille : l’armée de réserve des travailleurs chez K. Marx était la conséquence du développement du capitalisme ; les exclus d’Argentine ou d’autres émergents ont rarement été salariés et le principal problème qui se pose à eux est l’insuffisance du capital mis en œuvre pour les employer.

Allons plus loin. À supposer que l’on réussisse effectivement à « augmenter la rentabilité en réduisant » immédiatement « le marché du travail », l’impact effectif à terme dépend directement de l’usage qui sera fait de l’argent ainsi économisé sur les travailleurs. Si cet argent nourrit « la spéculation financière » au sens strict du terme, alors le pape a raison. Davantage d’argent sur des marchés financiers représentatifs d’une économie stagnante fait monter les cours de façon quasi mécanique… jusqu’à la prochaine bulle. Mais si cet argent se concrétise en investissements sur des projets nouveaux, l’emploi augmentera. Quant à savoir si cela se fera à un niveau tel que les chômeurs seront tous (r)-embauchés, nul ne peut le dire ex ante.

Fondamentalement, ce que ce raisonnement montre, c’est que l’accumulation du capital sur des projets nouveaux est la meilleure façon de lutter contre le chômage et contre l’exclusion. Or, sur ce sujet, la doctrine sociale de l’Église est loin d’être prolixe. Tout se passe comme si le capital était déjà constitué et qu’il se reproduisait sans difficulté notable. Dans ce contexte, le problème est moins dans son accumulation que dans son orientation. Dans une allocution aux membres du Congrès international du Crédit, Pie XII déclare : « que de capitaux se perdent dans le gaspillage, dans le luxe, dans l’égoïste et fastidieuse jouissance ou s’accumulent et dorment sans profit »[i]. Le capital est là, mais il sert à acheter une propriété de 50 Mns€ à Hawaii [ii]: rien de nouveau sous le soleil ! Le capital est là, mais il dort « sans profit » : à une époque où la thésaurisation était une pratique courante, elle est jugée coupable de ne pas exercer « la vertu de magnificence ». Ici, c’est Pie XI qui parle, en conclusion d’une formule où il est demandé que l’utilisation du capital porte sur « des biens réellement utiles »[iii].

Mais que dire si une partie du capital est détruit par le processus de destruction créatrice mis en lumière par J. A. Schumpeter à la charnière du XX° siècle ? Voilà bien une question que la doctrine sociale devrait affronter : comment transformer du revenu en capital pour accroître le volume de l’emploi. [A suivre…]

[Deuxième partie]

Dans un débat récent avec Thomas Piketty, Bill Gates rappelle que, à côté du succès d’Henry Ford, « nombre de personnes (…) ont vu leurs investissements disparaître entre 1910 et 1940, quand le nombre de constructeurs américains est passé de 224 à 21 »[iv]. Ainsi, le capital peut être détruit et il doit être reconstitué sur d’autres bases. Plus généralement, dans les pays émergents, par définition même, le stock de capital est insuffisant pour offrir un emploi à toute la population. Or, cet aspect du problème est occulté dans la doctrine sociale de l’Église. L’encyclique Centesimus annus de Saint Jean-Paul II « reconnaît le rôle pertinent du profit comme indicateur de bon fonctionnement de l’entreprise »[v]. Si ce rôle est immédiatement tempéré de façon à « n’être pas le seul indicateur de la santé de l’entreprise », l’idée que ces profits puissent être utilisés pour accumuler du capital et créer des emplois n’est pas évoquée.

Peut-être que ce silence provient d’une gêne par rapport aux textes évangéliques eux-mêmes. Au jeune homme riche, le Christ dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le au pauvre, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi »[vi]. Les premiers disciples ont appliqué à la lettre cette transformation du capital en revenu : « Ils vendaient leurs biens et possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun »[vii]. Peut-on rapprocher cet élan eschatologique, brisé par le retour tardif du Seigneur, de la quête impérée par Saint Paul aux chrétiens de Macédoine « pour aider les fidèles de Jérusalem »[viii] ? En tout cas, ce conseil personnalisé (ici, au jeune homme riche) doit être tempéré par la parabole des talents, à destination universelle. Or, que dit-elle, au moins dans son sens littéral ? D’abord, que « l’homme qui part en voyage » fait une dotation en capital ; ensuite qu’il exige un accroissement de ce capital ; enfin, que cet accroissement doit atteindre au moins le taux d’intérêt bancaire[ix].

Dans une Europe en crise, où le fléau du chômage est tellement répandu, il est devenu impératif de reconstituer du capital car jamais le stock de chômeurs ne sera résorbé par les entreprises existantes. Le taux de marge des entreprises est une des clés du problème, avec toutes les réserves que l’on peut imaginer. Mais cela ne peut suffire : le taux d’imposition des personnes riches doit être tel qu’ils puissent exercer cette « vertu de magnificence » évoquée par Pie XII. Plus largement, l’entrepreneuriat doit être favorisé, moins par des subventions que par la possibilité de constituer des profits et de les accumuler.

Dans un monde où l’emploi informel concerne 1,8 Mrds de personnes (sur trois milliards d’emplois), il est fondamental de trouver assez de capital pour donner à ces populations les outils qui leur permettront d’accroître leur efficacité et leur revenu. Cela suppose des transferts financiers depuis les pays riches ; ceux-ci peuvent prendre la forme d’investissements directs étrangers mais aussi de placements financiers. Or, dès qu’une entreprise française investit dans un pays émergent, qu’elle y transfère son épargne, son savoir-faire et les compétences de ses cadres, l’opinion publique crie au scandale de la délocalisation. Il s’agit bien pourtant d’une forme de partage de nos richesses organisé par une institution non étatique au bénéfice de populations pauvres ! Même si ces transferts privés entraînaient une baisse de notre propre niveau de vie, ce qui ne se vérifie pas en général, l’Église devrait y retrouver une trace du message évangélique.

Alors, est-il encore temps de fustiger la pression de la rentabilité financière à court terme ? Certainement et nombre de dirigeants salariés la dénoncent. Mais il faut alors rappeler que la tradition de l’Église signale sa préférence pour un capital utilisé comme un prolongement de la personne. Autrement dit, lorsque le pape François condamne « la spéculation financière », il fait mouche. Mais il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La lutte contre le lucre ne doit pas être telle qu’elle empêche les entrepreneurs de se faire « des amis avec l’argent trompeur »[x].

[i] 24 octobre 1951, DC 1952

[ii] Média Internet http://www.huffingtonpost.fr/2014/10/01/mark-zuckerberg-offre-ile_n_5913932.html

[iii] Quadragesimo Anno, AAS 23 (1931)

[iv] Bill Gates, Why Inequality Matters, « The Blog of Bill Gates », 13 octobre 2014, Média Internet http://www.gatesnotes.com/Books/Why-Inequality-Matters-Capital-in-21st-Century-Review.

[v] § 35

[vi] Saint Matthieu 19, 21

[vii] Actes 2, 45

[viii] Deuxième lettre de Saint Paul, apôtre, aux Corinthiens 8, 4

[ix] Saint Matthieu 25, 14-30

[x] Saint Luc 16, 9

Les Français derrière les patrons, effet Hollande ou effet Gattaz ? Quand la libéralisation de la France se fait par l’absurde

Selon le baromètre mensuel de l’économie Odoxa dévoilé jeudi 4 décembre, les Français soutiendraient largement les organisations patronales et leurs revendications. Un indicateur à prendre toutefois avec de nombreuses précautions.

En parallèle avec Hervé JOLY

L’article complet est sur Atlantico.fr du 5 décembre 2014

 Selon le baromètre de l’économie Odoxa de décembre dévoilé jeudi, les Français soutiendraient toutes les revendications les plus importantes du Medef, sauf une. Dans le même temps, 64 % d’entre eux estiment que les organisations patronales ont raison de se mobiliser pour manifester ce qu’ils appellent « leur souffrance et leur ras le bol » contre la politique du gouvernement. En quoi peut-on dire que c’est plus un rejet du gouvernement et de sa politique que les Français expriment, et moins un attachement à des valeurs libérales et aux idées avancées par le patronat ? Quelles sont les autres limites de ce baromètre notamment au niveau de la formulation et par rapport au fait que les personnes interrogées n’ont pas forcément compris la réalité des propositions ?

La signification d’un sondage est déterminée par les questions posées. Il est donc présomptueux de procéder à des extrapolations. Ainsi, 64 % des Français estiment que « les organisations patronales ont raison de se mobiliser contre la politique du gouvernement ». A dire vrai, sauf erreur, ils diraient la même chose de n’importe quelle manifestation contre la stagnation des salaires, les augmentations d’impôts, l’absence d’horizon en ce qui concerne le recul du chômage. Cela n’a rigoureusement rien à voir avec les idées (et non les valeurs) libérales. C’est d’autant plus vrai que, sous cette moyenne, le clivage « gauche-droite » reste particulièrement marqué : 63 % des sympathisants de gauche ne partagent pas l’idée que les organisations patronales puissent ressentir une quelconque « souffrance » ou aient des raisons d’en avoir « ras-le-bol ».

Les thèmes retenus n’engagent d’ailleurs aucunement une vision libérale de l’économie. Qu’on en juge : 71 % des sympathisants de droite et 92 % des sympathisants de gauche sont favorables à l’idée d’« imposer des représentants des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises ». L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle date des lois Auroux (août 1982) pour ce qui concerne les entreprises nationalisées et du rapport Gallois (novembre 2012) pour les grandes entreprises. Une vraie question que l’on aurait pu poser aux Français concernés les lois Auroux serait de savoir si cela a changé quelque chose à leur implication et à leur participation au pouvoir de décision dans l’entreprise dans laquelle ils travaillent.

Les autres thèmes relèvent d’un éventuel ajustement dans le système extrêmement régulé qui règle les relations sociales en France aujourd’hui. On insiste ici sur « le compte pénibilité » et nul ne doute qu’il soit difficile à mettre en place. Les Français concernés doivent être assez peu nombreux pour que leur voix ne s’entende que modérément dans ce sondage. Mais il n’y a pas de conclusion particulière à en tirer. D’ailleurs, si la loi est maintenue, quel parti de droite proposera de la rapporter ?

Enfin, c’est assez étrange qu’un sondage pose la question de savoir si « le Premier ministre Manuel Valls mène une politique économique trop favorable aux dirigeants d’entreprise ». Apparemment, le rédacteur du sondage ne fait pas la différence entre la personne morale de l’entreprise et la personne physique du dirigeant. Même s’ils se plaignent en tant que citoyens et contribuables, les dirigeants d’entreprise ne sont généralement pas à plaindre. La question porte sur le taux de marge des entreprises et là les choses sont bien différentes. Par ailleurs, il serait assez surprenant que les sondés puissent citer une seule mesure de soutien aux entreprises dont Manuel Valls soit l’auteur. Le Pacte de responsabilité et de solidarité préexistait à sa prise de fonction. Il est inefficace mais notre Premier ministre a bien expliqué qu’il « maintenait le cap ». Nous sommes bien dans la République du verbe et l’institut de sondage concerné ne fait même pas la différence entre une mesure de politique économique et un discours de politique générale, voire un discours général sur la politique économique.

Un sondage  Ipsos pour Le Monde paru en décembre 2013 révélait que 43 % des Français faisaient confiance aux entreprises pour relancer la croissance économique de la France, contre seulement 14 % à la droite, 13 % à l’Etat et 6 % à la gauche. Comment expliquer cette confiance aux entreprises bien plus développée que la confiance envers les politiques et les institutions ?

Sauf erreur, ce sondage apportait une information réellement nouvelle. Là encore, la prise en considération du contexte économique laisse entendre qu’il ne faudrait pas trop extrapoler. De plus, la question porte sur la croissance économique et non sur des mesures de réglementation concernant la vie de l’entreprise.

Deux faits nouveaux doivent néanmoins être pris en compte. En premier lieu, à la date du sondage, la promesse infiniment répétée par le Président François Hollande, d’inverser puis seulement d’infléchir la courbe du chômage ne s’est pas réalisée. La déception est à la hauteur des promesses. Il est possible que les Français aient perçu les limites de la politique budgétaire. Après tout, l’effet Ricardo – qui estime que l’emprunt n’est qu’un impôt différé – date du XIX° siècle ! En second lieu, le MEDEF cesse d’être dirigé par la très consensuelle Laurence Parisot, issue des services et très certainement soutenue par le CAC40. A sa place, un homme de l’industrie et un dirigeant propriétaire. Chacun sait que les entreprises du CAC40 n’ont jamais été touchées réellement par les hausses du SMIC et que les dirigeants ont trouvé des accommodements avec l’ISF. Certes, il y a des arguments de nature économique mais enfin, qui croira que le transfert à Londres des services de gestion de la trésorerie de Total est indépendant de la taxation des hauts salaires en France ? Ce genre d’ajustement est bien trop onéreux pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). En conséquence, au moment où le réel paraît échapper à l’action de l’État, il se découvre derrière le visage laborieux du patron du MEDEF.

 

 Selon le baromètre Cevipof de décembre 2013 sur la confiance politique, 59 % des Français estiment que l’Etat doit faire confiance aux entreprises et leur donner plus de liberté pour faire face aux difficultés économiques alors qu’ils étaient 41 % à le faire en octobre 2011. Les Français en ont-ils toutefois vraiment fini avec leur allergie au libéralisme ?

Dans leur majorité, les Français adhèrent au libéralisme philosophique. C’est absolument clair dans le soutien qu’ils ont donné à la loi Taubira. Tout au plus peut-on considérer que les manifestations qui ont accompagné le débat démocratique n’ont pas débouché en termes politiques.

Rien ne dit que, économiquement, ils ne sont pas favorables à l’économie de marché. Tout au plus peut-on considérer que les institutions qui sont censées les accompagner dans l’encadrement légitime de la liberté économique sont contrôlées par des syndicats qui ne représentent qu’eux-mêmes. D’ailleurs, au passage, ce sont eux qui ont négocié la « loi de pénibilité » pour contourner l’allongement de la durée du travail destiné à soutenir la pérennité des régimes de retraite.

Dépossédés de la possibilité même de gérer leur assurance sociale et leur régime de retraite, on comprend immédiatement qu’ils protesteront véhémentement lorsqu’il s’agira d’en équilibrer les comptes. On conclura alors immédiatement, sondage à l’appui, qu’ils rejettent le libéralisme !

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