
Au cœur de la théorie de Thomas Piketty, la réduction des inégalités avec pour outil privilégié la fiscalité. Mais étant déjà l’une des plus progressives au monde dans notre pays, l’adapter aux besoins des entreprises plutôt que d’en faire une arme sociale semble beaucoup plus pertinent. Et elle deviendrait même une solution aux problèmes de répartition des richesses que l’économiste prétend pouvoir solutionner.
En parallèle avec Philippe CREVEL et Jean-Philippe DELSOL
Pour les abonnés, l’article complet est sur Atlantico.fr du 3 janvier 2015
1° Thomas Piketty, l’économiste auteur du best-seller, le capital au XX1e siècle, vient de refuser la légion d’honneur. Au cœur de sa théorie, la réduction des inégalités avec pour outil privilégié la fiscalité. Dans un ouvrage collectif, intitulé la révolution fiscale il émettait l’idée d’une taxe à 60 % pour les revenus les plus élevés qui a inspiré à François Hollande l’idée de taxe à 75 %, enterrée depuis ce 1er janvier. Si la France devait opérer une révolution fiscale, quelle forme cette dernière devrait-elle prendre ?
Barak Obama a reçu le Prix Nobel de la paix principalement sur la base de son discours « La paix maintenant », donné au Caire le 4 juin 2009. La suite de l’histoire a montré que les Etats-Unis n’avaient pas été la source de paix escomptée, ni directement, ni indirectement. Thomas Piketty a été plus avisé : d’une part, il n’y a aucune chance que son programme soit appliqué dans le pays où son dernier livre est devenu un best-seller ; d’autre part, il est déjà appliqué en France, au moins dans son esprit et la France succomberait à une augmentation du taux de l’impôt sur le capital comme du taux marginal de l’impôt sur le revenu. L’honorer de la Légion d’honneur était une façon de saluer le retentissement de la pensée d’un français aux Etats-Unis tout en esquivant l’application de ses préceptes en France.
Rappelons d’abord que Thomas Piketty n’est pour rien dans la taxe sur les salaires de plus de un million d’euros. Il l’a dit et répété, il est favorable à une tranche à 60 % de l’impôt sur le revenu. Attention, il s’agit d’un taux moyen applicable à l’ensemble du revenu au-delà d’un certain seuil et non, comme dans le système actuel, d’un taux applicable à la part du revenu qui dépasse ce seuil ! Rappelons ensuite que l’ouvrage qui a fait sa renommée internationale propose de taxer le capital à 15 %. Les Américains ont cette gentillesse constante de laisser les autres nations essayer les solutions suicidaires. Ils n’ont jamais eu d’impôt sur la détention du capital et il n’a jamais été question qu’ils en aient un. Par contre, ils ont connu les impôts confiscatoires sur la transmission du patrimoine, ce qui est tout autre chose. Les héritiers ne sont jamais les créateurs ; ils ont une propension assez facile à comprendre à vivre de leurs rentes…
Alors, que peut-on reprocher à cette proposition d’imposition du capital ? D’abord, qu’elle ne réussirait pas à réduire les inégalités de patrimoine. Les très grandes fortunes trouvent toujours le moyen de se mettre à l’abri de l’impôt. Si tant d’entreprises du CAC40 ont choisi une structure juridique avec Conseil de surveillance, n’est-ce pas pour permettre au dirigeant historique de laisser croire que son patrimoine relevait de « l’outil de travail », en tant que Président de ce conseil ? Par contre, les fortunes intermédiaires qui refusent de d’expatrier continuent à être dans la ligne de mire du fisc ! Tout cela serait connu si les services de Bercy jouaient le rôle qui est attendu d’eux dans une démocratie : que chacun puisse savoir, jour après jour, combien de particuliers ont effectué une déclaration de non-résidence et, de ce fait, ne sont plus imposables sur leur patrimoine en France.
Mais ce qui est beaucoup plus fondamental, c’est que Thomas Piketty se trompe d’époque. Essayons d’être marxiste ! Pour Karl Marx, ce fin observateur du système capitaliste au XIX° siècle, ce qui menace le plein emploi, c’est l’insuffisance du capital pour embaucher tout le monde. L’armée de réserve des chômeurs est constituée de ces gens qui ne trouvent pas d’emploi parce que les capitalistes n’arrivent pas à dégager assez de profits pour les embaucher. Cela tient à l’augmentation de la composition organique du capital d’une part, à la baisse du taux d’exploitation d’autre part. N’en déplaise à notre Thomas Piketty, cette situation est aggravée par l’impôt sur le capital ! Or, on peut considérer que la situation présente en France relève partiellement de cette interprétation.
Qui peut croire en effet que nos 3,5 millions de chômeurs vont retrouver un emploi dans les entreprises existantes, avec le capital existant ? Leur destin est presque entièrement suspendu à la création de nouvelles activités, stimulées par un progrès technique tellement exponentiel qu’on n’arrive pas à faire l’inventaire des innovations. Seulement, pour créer de nouvelles activités, il faut des idées – les Français en ont, et à foison – et des capitaux – les Français qui disposent d’un capital n’arrivent pas à l’accroître ; ceux qui disposent d’un revenu n’arrivent pas à le transformer en capital.
2° La flat tax serait-elle une solution adaptée ? Quel équilibre s’agit-il de trouver entre la proportionnalité et la progressivité ?
C’est que, à côte de l’ISF, le système de l’impôt sur le revenu en France reste l’un des plus progressif qui soit. Bien entendu, pour mesurer la progressivité, il ne suffit pas d’indiquer le taux d’imposition marginal maximal ! Il faut indiquer à partir de quel seuil on est imposable, quelle est l’étendue des tranches sur lesquelles s’applique le taux de l’impôt et, finalement, quel est le seuil de déclenchement de la tranche marginale maximale. Il faut aussi considérer la base fiscale imposable et savoir si les taux s’appliquent à l’individu ou au foyer fiscal. Une autre façon de considérer la progressivité d’un système fiscal est de calculer quelle est la part de l’impôt sur le revenu (IR) payée par les contribuables les plus riches. Ce qui est sûr, c’est que le rendement de l’impôt est d’autant plus élevé que la masse des revenus est importante.
Pour des raisons évidemment électorales, les pouvoirs publics, quelle que soit la couleur de la majorité, ont une propension à supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu après l’avoir vidée de sa substance. C’est ce que Manuel Valls applique une nouvelle fois ce premier janvier 2015. Pour sortir de cette facilité, le premier Ministre Michel Rocard a inventé la Contribution sociale généralisée (CSG), qui s’applique au premier euro de revenu. Pour des raisons assez cohérentes, les réformistes estiment que la distinction entre impôt et contribution n’a pas de sens et qu’il faut fusionner l’IR et la CSG. Mais, pour des raisons évidemment électorales, cette fusion se traduira rapidement par une exonération de CSG des revenus les plus faibles…
Un impôt proportionnel au revenu satisfait normalement au critère constitutionnel des facultés contributives. Mais, comme l’avait fait remarquer J.R. Mc Culloch vers 1830 : « à partir du moment où vous abandonnez le principe cardinal d’exiger de tous les individus la même proportion de leur revenu ou de leur propriété, vous êtes à la mer sans gouvernail ni boussole, et il n’y a pas de limite aux injustices et aux folies que vous pouvez commettre ». Il est absolument certain que, aujourd’hui en France, aucun député, et vraisemblablement aucun spécialiste de fiscalité de Bercy ne sache exactement faire le compte de ce qui resterait à l’individu si son employeur lui accordait 100€ d’augmentation de salaire. Entre l’impôt sur le revenu, la CSG, les seuils divers et variés d’allègement des cotisations sociales, le dépassement de seuils pour un certain nombre de prestations sociales, la réévaluation des bourses des enfants, le paiement ou non de la taxe d’habitation, etc. il est devenu impossible de rien prévoir d’avance. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en a fait les frais plusieurs fois et cette ignorance n’est pas pour rien dans la suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu. Il s’agissait de rendre non imposable des gens qui l’étaient devenus à cause de mesures diverses et variées des budgets 2013 et 2014.
3° Quels sont les impôts qu’il s’agirait de revoir en priorité ? Pourrait-on envisager d’en créer d’autres ?
Il y a certainement une mesure d’importance qu’il faudrait prendre en France, c’est l’interdiction de créer de nouveaux impôts. A tout le moins, on pourrait imaginer une règle budgétaire, voire constitutionnelle, qui interdise de créer un impôt dont le rendement serait inférieur à un certain montant ou dont le coût de prélèvement, y compris les coûts supportés par les agents privés, serait supérieur au rendement. C’était le printemps, le début de l’année 2013 a vu fleurir autant d’impôts nouveaux que de ministères. Un impôt sur les stylos à bille pour maintenir le marché des encriers ; un impôt sur les taxis automobiles pour maintenir la rente des fiacres ; un impôt sur ceux qui n’ont pas la télévision pour délit de civilité ! Chacun trouvera aisément les exemples plus sérieux et plus concrets qui ont été effectivement proposés au Parlement et… votés !
S’il fallait citer un impôt à réformer auquel on ne pense pas nécessairement, il y a certainement l’impôt sur les plus-values. La première chose à faire serait de permettre l’imputation des moins-values foncières et immobilières sur les plus-values financières et inversement. Nous entrons dans une période de déflation et les moins-values risquent de se multiplier. S’il faut maintenir un impôt sur les plus-values, c’est sur la base de leur évolution globale nette. Mais il faut aussi revoir les durées de détention qui servent de seuil de déclenchement aux plus-values immobilières. Celles-ci ralentissent les mouvements de patrimoine. Or, ceux-ci ne sont pas liés à la spéculation, mais à l’évolution de la situation personnelle et professionnelle des familles.
4° Pour l’économiste Thomas Piketty, l’impôt serait le moyen de lutter contre les inégalités. Dans quelle mesure cette conception de la fiscalité peut-elle soulever des problèmes ? Comment mettre en place une fiscalité efficace qu’elle concerne les particuliers ou les entreprises ?
Pour montrer que l’impôt progressif sur le revenu avait été la cause principale de la réduction des inégalités de patrimoine en France au XX° siècle, Thomas Piketty a dû nier l’effet et des guerres et des inflations d’après-guerre. Ce serait simplement risible si cela n’avait ruiné des pays ou des activités. Ainsi, la batellerie française ne s’est jamais remise des destructions de la Seconde guerre mondiale ; la fiscalité n’y a été pour rien. Ainsi encore, les capitalistes qui ont échangé leurs actions dans les sociétés de chemin de fer contre des obligations à 30 ans et 6 % d’intérêt étaient très certainement satisfaits de leur coup en 1936 ; nul doute qu’ils aient déchanté après les inflations de 48,5 % (1945), 52,6 % (1946), 49,2 % (1947) et 58,7 % (1948) ! L’argument ne tient donc pas.
On pourrait tout aussi bien prendre comme adage la formule de Ludwig Von Mises pour qui « « les vieilles firmes n’ont rien à craindre de la concurrence : elles en sont protégées par le percepteur » (L’action humaine, Paris, PUF, 1985, p. 851). En d’autres termes, les fortunes nouvelles sont tuées dans l’œuf au bénéfice des fortunes constituées, qui réussissent toujours à trouver des accommodements avec les pouvoirs publics. Que chacun choisisse son exemple dans l’actualité !
5° Des quels systèmes étrangers pourrait-on s’inspirer ?
N’importe quel pays dans le monde est devenu candidat au statut de modèle pour les réformes fiscales en France ! Il n’est pas question de dire qu’un pays aurait trouvé la formule magique permettant de tenir les deux bouts de la justice sociale et de l’efficacité économique. Mais chaque pays a au moins tenté quelque chose pour accroître l’efficacité économique du système fiscal. Beaucoup, dont la Suède ou les Pays-Bas, ont procédé à une mise en cale sèche de leur système fiscal pour le fondre à nouveaux frais selon des principes adaptés à la situation présente.
Par contre, ceux qui ont réussi leur réforme ont bénéficié de deux atouts : le temps et la croissance. Le temps permet de mettre les acteurs sociaux autour d’une table et de rechercher un consensus sur les réformes à faire. La croissance permet de tempérer l’effet des réformes fiscales qui se traduisent toujours par des transferts de charges d’un contribuable à l’autre. La France a été épuisée par les réformes fiscales les plus récentes. Sans conception d’ensemble, elles n’ont pas moins abouti à décourager l’initiative économique… et l’opinion publique.