Archives de Catégorie: Politique économique

Incohérence temporelle

Après avoir sévèrement ponctionné les profits des entreprises depuis 2012, le gouvernement s’aperçoit que leur trésorerie est exsangue. On pourrait imaginer qu’il décide de diminuer les impôts. Mais ce serait contraire à l’un des principes fondamentaux du pouvoir politique en France, aujourd’hui : l’argent appartient par principe à l’État ; son usage privé n’est que concédé. La formule peut paraître exagérée ; mais c’est l ‘asymptote que l’on voit le mieux la direction de la courbe, ici des événements.

Publié dans La Croix du 13 avril 2015

Dans le cycle conjoncturel, le moment-clé de la reprise est celui où l’investissement redémarre. C’est lui, en effet qui va confirmer le changement de cap en amplifiant le mouvement de reprise de la consommation. C’est bien le moment où nous nous trouvons. Si l’on fait un arrêt sur image à la fin du premier trimestre 2015 et que l’on extrapole les résultats ainsi obtenus sur l’ensemble de l’année, on obtient pour 2015 une croissance « acquise » de 0,8 % stimulée par la demande de consommation des ménages (1,3 %) mais freinée par l’investissement des entreprises (-0,2 %), des ménages (principalement le logement à -4 %) et des administrations publiques (-2,2 %). On comprend la préoccupation du Président François Hollande et son engagement à faire bouger les lignes ! Pourtant, force est de constater que la situation est, pour une part substantielle, de son fait. Il ne fait qu’essayer de corriger les conséquences logiques de ses décisions. Il s’agit d’une manifestation supplémentaire d’incohérence temporelle, où la puissance publique prend des décisions contradictoires à deux moments différents du temps. A zigzaguer ainsi, il est peu probable que l’on avance beaucoup vers la cible de la croissance et de l’emploi. Qu’on en juge !

Lorsque, en 2012, l’on croyait encore possible de ramener en un an le déficit budgétaire de 4,5 à 3,0 % du PIB à fin 2013, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait décidé de mettre les entreprises à contribution pour un tiers de cet objectif, soit 10 Mrds€. Impossible de rappeler le poème à la Prévert des mesures fiscales qui ont été prises. Cependant, il est préférable de savoir d’avance que celui qui verse le montant de l’impôt n’est pas nécessairement celui qui en subit le poids. Au moment du prélèvement, ces impôts pèsent sur la trésorerie des entreprises ; avec le temps, le contribuable effectif dépend des possibilités de l’entreprise de reporter ces prélèvements sur d’autres acteurs. Les véritables payeurs peuvent être les fournisseurs (pression à la baisse des prix d’achat), les clients (hausses des prix), les salariés (moindre progression des salaires) ou l’emploi (si les investissements de capacité sont reportés). Il faut croire qu’aucun des trois premiers transferts ne fut possible puisque l’on parle actuellement de mettre en œuvre un dispositif fiscal pour améliorer, justement, la trésorerie des entreprises. Il serait surprenant que ce dispositif fiscal ne soit pas conditionnel et donc, l’entreprise sera une fois de plus pilotée par les fonctionnaires de Bercy. S’ils jouent le jeu, les dirigeants se transformeront en chasseurs de prime. A priori, on peut penser que ce n’est pas le métier qu’ils ont choisi !

Avec la crise financière, les normes prudentielles ont été resserrées. Ici, la responsabilité ne relève en rien des gouvernements français sauf qu’il leur revenait d’anticiper les conséquences de ces nouvelles régulations internationales. L’objectif explicite était de contrôler la prise de risque des institutions financières ; l’objectif implicite était de favoriser la détention d’obligations publiques par les compagnies d’assurance. Ainsi, pour pouvoir acheter une obligation d’entreprise à dix ans, la compagnie d’assurance devra détenir trois fois plus de fonds propres que pour une obligation à trois ans. Le financement à long terme de l’entreprise est donc mécaniquement pénalisé. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement vient d’y penser. Il va créer un fonds de 500 millions à disposition des assurances pour des prises de participation dans les entreprises. Evidemment, on peut poser immédiatement trois questions : de où viendront ces fonds ? Quels seront les critères de distribution ? Est-ce que les entreprises veulent vraiment diluer le pouvoir de décision économique en acceptant une prise de participation quasi-publique dans leur capital ? Décidément, chassez le socialisme d’État par la porte, il rentre par la fenêtre !

Enfin, la chasse aux fonds propres est ouverte en France depuis l’instauration de l’Impôt sur les grosses fortunes (1982) et les augmentations de salaire supérieures aux progrès de productivité. Son résultat est connu : depuis 10 ans, la part des investissements réalisés sur fonds propres (taux d’autofinancement) est toujours inférieure à 100 % en France alors qu’elle est toujours supérieure à 100 % en Allemagne. Si l’on interroge les économistes sur les leviers de redressement du taux d’autofinancement, ils parlent de freinage du salaire réel ou de progression de la productivité – qui suppose, justement d’investir. Si l’on pose la même question à un gouvernement en France, il répond par l’identification de « prêts cautionnés par la puissance publique » à des quasi-fonds propres. C’est ce que propose à nouveau François Hollande avec les prêts de développement des entreprises gérés par la Banque publique d’investissement (BPI). La différence entre de véritables fonds propres, à la discrétion effective du dirigeant et de quasi-fonds propres, à la discrétion d’une banque publique, c’est le temps passé à monter le dossier, à justifier chacun des paramètres du projet de développement, à expliquer que l’on est absolument pas sûr qu’investissement rime avec emploi !

On le voit, si la direction est bonne, le chemin est tortueux. S’il est une ligne droite, elle est implicite. C’est celle qui consiste à concentrer les leviers de la décision économique entre les mains de la puissance publique. Et dire qu’il en est qui parlent de « cadeaux aux patrons »

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Les 1100 milliards de Mario Draghi : « trop peu et trop tard »

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FIGAROVOX ANALYSE – Alors que le président de la BCE a annoncé jeudi dernier un vaste programme de rachat de titres, l’économiste Gérard Thoris analyse la portée réelle de cet «helicopter money».

A lire dans FigaroVox du 26 janvier 2915

 

Les Français derrière les patrons, effet Hollande ou effet Gattaz ? Quand la libéralisation de la France se fait par l’absurde

Selon le baromètre mensuel de l’économie Odoxa dévoilé jeudi 4 décembre, les Français soutiendraient largement les organisations patronales et leurs revendications. Un indicateur à prendre toutefois avec de nombreuses précautions.

En parallèle avec Hervé JOLY

L’article complet est sur Atlantico.fr du 5 décembre 2014

 Selon le baromètre de l’économie Odoxa de décembre dévoilé jeudi, les Français soutiendraient toutes les revendications les plus importantes du Medef, sauf une. Dans le même temps, 64 % d’entre eux estiment que les organisations patronales ont raison de se mobiliser pour manifester ce qu’ils appellent « leur souffrance et leur ras le bol » contre la politique du gouvernement. En quoi peut-on dire que c’est plus un rejet du gouvernement et de sa politique que les Français expriment, et moins un attachement à des valeurs libérales et aux idées avancées par le patronat ? Quelles sont les autres limites de ce baromètre notamment au niveau de la formulation et par rapport au fait que les personnes interrogées n’ont pas forcément compris la réalité des propositions ?

La signification d’un sondage est déterminée par les questions posées. Il est donc présomptueux de procéder à des extrapolations. Ainsi, 64 % des Français estiment que « les organisations patronales ont raison de se mobiliser contre la politique du gouvernement ». A dire vrai, sauf erreur, ils diraient la même chose de n’importe quelle manifestation contre la stagnation des salaires, les augmentations d’impôts, l’absence d’horizon en ce qui concerne le recul du chômage. Cela n’a rigoureusement rien à voir avec les idées (et non les valeurs) libérales. C’est d’autant plus vrai que, sous cette moyenne, le clivage « gauche-droite » reste particulièrement marqué : 63 % des sympathisants de gauche ne partagent pas l’idée que les organisations patronales puissent ressentir une quelconque « souffrance » ou aient des raisons d’en avoir « ras-le-bol ».

Les thèmes retenus n’engagent d’ailleurs aucunement une vision libérale de l’économie. Qu’on en juge : 71 % des sympathisants de droite et 92 % des sympathisants de gauche sont favorables à l’idée d’« imposer des représentants des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises ». L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle date des lois Auroux (août 1982) pour ce qui concerne les entreprises nationalisées et du rapport Gallois (novembre 2012) pour les grandes entreprises. Une vraie question que l’on aurait pu poser aux Français concernés les lois Auroux serait de savoir si cela a changé quelque chose à leur implication et à leur participation au pouvoir de décision dans l’entreprise dans laquelle ils travaillent.

Les autres thèmes relèvent d’un éventuel ajustement dans le système extrêmement régulé qui règle les relations sociales en France aujourd’hui. On insiste ici sur « le compte pénibilité » et nul ne doute qu’il soit difficile à mettre en place. Les Français concernés doivent être assez peu nombreux pour que leur voix ne s’entende que modérément dans ce sondage. Mais il n’y a pas de conclusion particulière à en tirer. D’ailleurs, si la loi est maintenue, quel parti de droite proposera de la rapporter ?

Enfin, c’est assez étrange qu’un sondage pose la question de savoir si « le Premier ministre Manuel Valls mène une politique économique trop favorable aux dirigeants d’entreprise ». Apparemment, le rédacteur du sondage ne fait pas la différence entre la personne morale de l’entreprise et la personne physique du dirigeant. Même s’ils se plaignent en tant que citoyens et contribuables, les dirigeants d’entreprise ne sont généralement pas à plaindre. La question porte sur le taux de marge des entreprises et là les choses sont bien différentes. Par ailleurs, il serait assez surprenant que les sondés puissent citer une seule mesure de soutien aux entreprises dont Manuel Valls soit l’auteur. Le Pacte de responsabilité et de solidarité préexistait à sa prise de fonction. Il est inefficace mais notre Premier ministre a bien expliqué qu’il « maintenait le cap ». Nous sommes bien dans la République du verbe et l’institut de sondage concerné ne fait même pas la différence entre une mesure de politique économique et un discours de politique générale, voire un discours général sur la politique économique.

Un sondage  Ipsos pour Le Monde paru en décembre 2013 révélait que 43 % des Français faisaient confiance aux entreprises pour relancer la croissance économique de la France, contre seulement 14 % à la droite, 13 % à l’Etat et 6 % à la gauche. Comment expliquer cette confiance aux entreprises bien plus développée que la confiance envers les politiques et les institutions ?

Sauf erreur, ce sondage apportait une information réellement nouvelle. Là encore, la prise en considération du contexte économique laisse entendre qu’il ne faudrait pas trop extrapoler. De plus, la question porte sur la croissance économique et non sur des mesures de réglementation concernant la vie de l’entreprise.

Deux faits nouveaux doivent néanmoins être pris en compte. En premier lieu, à la date du sondage, la promesse infiniment répétée par le Président François Hollande, d’inverser puis seulement d’infléchir la courbe du chômage ne s’est pas réalisée. La déception est à la hauteur des promesses. Il est possible que les Français aient perçu les limites de la politique budgétaire. Après tout, l’effet Ricardo – qui estime que l’emprunt n’est qu’un impôt différé – date du XIX° siècle ! En second lieu, le MEDEF cesse d’être dirigé par la très consensuelle Laurence Parisot, issue des services et très certainement soutenue par le CAC40. A sa place, un homme de l’industrie et un dirigeant propriétaire. Chacun sait que les entreprises du CAC40 n’ont jamais été touchées réellement par les hausses du SMIC et que les dirigeants ont trouvé des accommodements avec l’ISF. Certes, il y a des arguments de nature économique mais enfin, qui croira que le transfert à Londres des services de gestion de la trésorerie de Total est indépendant de la taxation des hauts salaires en France ? Ce genre d’ajustement est bien trop onéreux pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). En conséquence, au moment où le réel paraît échapper à l’action de l’État, il se découvre derrière le visage laborieux du patron du MEDEF.

 

 Selon le baromètre Cevipof de décembre 2013 sur la confiance politique, 59 % des Français estiment que l’Etat doit faire confiance aux entreprises et leur donner plus de liberté pour faire face aux difficultés économiques alors qu’ils étaient 41 % à le faire en octobre 2011. Les Français en ont-ils toutefois vraiment fini avec leur allergie au libéralisme ?

Dans leur majorité, les Français adhèrent au libéralisme philosophique. C’est absolument clair dans le soutien qu’ils ont donné à la loi Taubira. Tout au plus peut-on considérer que les manifestations qui ont accompagné le débat démocratique n’ont pas débouché en termes politiques.

Rien ne dit que, économiquement, ils ne sont pas favorables à l’économie de marché. Tout au plus peut-on considérer que les institutions qui sont censées les accompagner dans l’encadrement légitime de la liberté économique sont contrôlées par des syndicats qui ne représentent qu’eux-mêmes. D’ailleurs, au passage, ce sont eux qui ont négocié la « loi de pénibilité » pour contourner l’allongement de la durée du travail destiné à soutenir la pérennité des régimes de retraite.

Dépossédés de la possibilité même de gérer leur assurance sociale et leur régime de retraite, on comprend immédiatement qu’ils protesteront véhémentement lorsqu’il s’agira d’en équilibrer les comptes. On conclura alors immédiatement, sondage à l’appui, qu’ils rejettent le libéralisme !

Réformes à l’érable : les bonnes recettes que François Hollande peut rapporter du Canada

François Hollande aborde ce mardi 4 octobre son dernier jour de déplacement officiel au Canada. Un pays qui s’est relevé depuis 1995 d’une crise sans précédent. La révolution « Klein » est aujourd’hui unanimement reconnue pour son efficacité en termes d’équilibre budgétaire. Et si dans le privé la concurrence force au changement, dans le public, il s’agit surtout de volonté politique.

Lire la suite sur Atlantico.fr du 4 novembre 2014

L’enlisement

Publié dans La Croix du 9 septembre 2014

« Je veux accélérer les réformes »[i]. En parlant le premier, François Hollande pensait donner le ton de la rentrée politique. On sait désormais que son « moi, Président » n’est plus qu’une parole dans la cacophonie des « moi, futur président ». Les conflits d’ego encombrent ainsi la une des journaux et, pendant ce temps, entrepreneurs et dirigeants désespèrent d’un cadre clair et stable pour prendre leurs décisions économiques. Pour illustrer ce point, rien ne vaut l’étude rétrospective des allègements de charges sociales. On n’approfondira pas ici le bien-fondé d’une stratégie de la puissance publique qui remonte à 1991. On supposera que, le même objectif ayant été poursuivi par de nombreux gouvernements depuis cette date, il y a un minimum de consensus sur le sujet au moins chez ceux qui exercent effectivement le pouvoir.

D’une manière peu amène, Nicolas Sarkozy a attendu la fin de son mandat pour mettre en œuvre une forme de TVA sociale, rebaptisée selon les humeurs, « TVA antidélocalisation » ou « TVA compétitivité ». Pour aller à l’essentiel, il s’agissait d’un transfert des cotisations familiales à charge des employeurs sur la TVA d’une part, la CSG sur les revenus financiers d’autre part. Ce jeu de tuyauterie, qui consiste à faire passer les prélèvements par la case « charges sociales », « contribution », « impôts directs » ou « indirects » portait sur un montant de 13 Mrds€.

Comme il l’avait annoncé durant la campagne électorale, François Hollande fait annuler la loi et reprend le problème à zéro avec la Conférence sociale des 9 et 10 juillet. Après la maturation de l’été, il en ressort, selon les indiscrétions du Monde du 3 octobre[ii], un basculement des cotisations sociales, mais sur la CSG. Le montant à terme devait atteindre 40 Mrds€ à raison de 8 Mrds€ par an. Au final, cela représentait une socialisation du coût salarial chargé de 5 % en cinq ans.

L’encre du journal était à peine séchée que Louis Gallois remettait son rapport dont le titre introduit un mot qui fera date : le Pacte pour la compétitivité de l’industrie française (5 novembre). Le « choc de compétitivité » qu’il préconisait portait sur 30 Mrds€ et le rapport d’ajouter que cela ne représente que « la moitié de la perte de marge des entreprises depuis 2001 » (p. 23). Par ailleurs, ce rapport comporte deux séries de nouveautés. Du côté du basculement des charges, les cotisations sociales des salariés pourraient être concernées et les allègements pourraient monter jusqu’à 3,5 SMIC (contre 2,1 pour la TVA sociale). Du côté du financement, sans trancher sur la nature des impôts nouveaux, le rapport introduit par ailleurs la possibilité d’une diminution des dépenses publiques aux trois niveaux des administrations – Etat, collectivités territoriales, Sécurité sociale.

C’est prétendument sur cette base qu’est créé le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). Annoncé dès le 6 novembre, il entre en vigueur en janvier 2013. Mais, au lieu d’un mécanisme simple de réduction immédiate des charges, dont la lisibilité sur le coût du travail et sur la trésorerie des entreprises est immédiate, il s’agit d’une véritable usine à gaz. La baisse des cotisations sociales est accordée sous forme d’un crédit d’impôt utilisable en 2014. Grâce à ce subterfuge, le financement peut être noyé dans un brouillard intertemporel. Dans les faits l’augmentation de la TVA a bien eu bien en 2014, mais les projets de fiscalité écologique (taxation du diesel et surtout l’écotaxe) ont avorté. Quant au volet « réduction des dépenses », il est tout simplement illisible ailleurs que dans les déclarations d’intention. Quoiqu’il en soit du bouclage final, c’est la trésorerie des entreprises qui préfinance le basculement des charges qui financent le système de protection sociale.

Mais la nouveauté radicale est ailleurs. On pensait qu’il s’agissait simplement de diminuer le coût du travail ; en fait, il s’agit en même temps d’accroître le pouvoir de contrôle de l’Etat et des syndicats de salariés sur la gestion des entreprises. « Le CICE ayant pour objet le financement de l’amélioration de la compétitivité des entreprises à travers notamment des efforts en matière d’investissement… l’entreprise doit retracer dans ses comptes annuels l’utilisation du crédit d’impôt conformément à ces objectifs »[iii]. Si l’on suit la longue liste des objectifs donnés par la puissance publique, l’entreprise n’a pas le droit de baisser ses prix, ce qui est une étrange façon de favoriser la compétitivité !

On croyait l’affaire pliée mais le président de la République décide d’aller plus loin avec le Pacte national de responsabilité et de solidarité (21 janvier 2014). L’incroyable nouveauté de ce Pacte, c’est que le Gouvernement décide d’accroître le SMIC net en socialisant une partie des cotisations sociales à la charge des salariés. En principe, le salaire est la contrepartie de la richesse créée. Avec François Hollande, le salaire est la contrepartie de réductions futures des dépenses publiques. Or, cette réduction devait permettre à la France de ramener le déficit budgétaire dans la fourchette des 3 %. L’explosion en vol de la solidarité gouvernementale provient en partie du fait que les réductions de dépenses publiques et sociales ont été affectées deux fois.

Mais ce n’est pas tout. Le 6 août, cette disposition a été annulée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle introduit une « différence de traitement entre des salariés ayant droit à des prestation sociales identiques ». On s’étonne, à dire vrai, d’un tel jugement. Si l’on accepte de sortir de la fiction que représente la distinction entre charges sociales salariales et charges patronales, c’est toute la politique de socialisation des charges qui introduit une différence de traitement ! Néanmoins, même si elle est mal placée, le Conseil constitutionnel aura enfin marqué une ligne rouge en matière de socialisation des salaires !

Essayons de conclure. Si, contre mauvaise fortune bon cœur, François Hollande s’était contenté d’appliquer la TVA sociale imposée par Nicolas Sarkozy, en deux ans, 26 Mrds€ auraient été transférés aux entreprises pour reconstituer leurs marges. C’est le tiers de l’effort à faire selon Louis Gallois, la moitié selon Michel Sapin ![iv] Ce même ministre estime que, « aux deux tiers du second trimestre (2014), les créances du CICE des entreprises représentaient près de 7 Mrds€ »[v]. C’est un quart de ce que le laissez faire aurait permis d’atteindre. On comprend l’attentisme des dirigeants. On peut comprendre que, pour le Premier ministre, il soit « hors de question » de changer de cap. Mondanités mises à part, on s’étonne de la standing ovation des premiers au second lors de l’Université d’été du MEDEF car il n’a fait que confirmer ce cap suivi depuis deux ans, celui de l’enlisement.

[i] Le Monde du jeudi 21 août 2014

[ii] Média Internet, http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2012/10/03/cout-du-travail-ce-que-prepare-l-elysee_1769200_823448.html

[iii] Le portail de l’Économie et des Finances, Média Internet, http://www.economie.gouv.fr/ma-competitivite/quest-que-credit-dimpot-pour-competitivite-et-lemploi

[iv] Il est vrai que la référence du premier porte sur les marges de 2001, celle du second, sur les marges de 2007.

[v] Michel Sapin (2014), « Les entreprises doivent saisir cette chance », Libération, 17 août, Média Internet, http://www.liberation.fr/economie/2014/08/17/michel-sapin-les-entreprises-doivent-saisir-cette-chance_1082252

Bombe à retardement de la dette : quel scénario si les taux d’intérêts explosent ?

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Alors que le déficit budgétaire français continue de se creuser, le piège de la dette pourrait également se refermer sur le gouvernement. Le décryptage de l’économiste Gérard Thoris.

Publié sur FigaroVox du 8 août 2014

Le psychodrame du SMIC

Publié dans La Croix du 28 avril 2014

Au détour d’une question posée lors d’un point de presse mensuel, Pierre Gattaz a évoqué sa préférence pour l’emploi des jeunes plutôt que leur inactivité, fut-ce au prix d’un salaire inférieur au minimum légal. Et voilà la France confrontée à un de ses tabous dont aucun psychodrame ne peut la libérer. Qu’il s’agisse d’un tabou, au sens d’une prohibition à caractère sacré ne fait aucun doute. Sa transgression a donné lieu à une condamnation immédiate d’« esclavagisme » par Laurence Parisot. On aurait cru sa liberté de parole enchaînée par une règle implicite de la démocratie qui veut que l’on s’incline devant le choix des mandants. Mais enfin, la société française n’a-t-elle pas inventé le culte de la raison ? Les tabous ne doivent-ils pas rendre compte de leurs prétentions à cette moderne déesse ? Et le critère ultime de la raison n’est-il pas de rendre compte des faits ? Le premier fait est que le salaire minimum est une nécessité car, comme le disait Adam Smith lui-même, « les maîtres [c’est-à-dire les employeurs] sont en tout temps et partout dans une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel ». Il faut néanmoins concéder que le droit de coalition a bien modifié les choses. Dans une étude parue en décembre 2012 et portant sur des données de 2009, la DARES montre que le salaire conventionnel moyen des ouvriers est supérieur au SMIC de 7,8 % et que l’écart maximum est de 66 % . On en tire la conclusion que le rôle du salaire minimum est de renforcer le pouvoir de négociation des salariés là où leur dispersion les réduit au silence. C’est sans aucun doute le motif de l’introduction récente d’un salaire minimum au Royaume-Uni (1999) ou en Allemagne (à horizon 2017) car le développement de la société de services a multiplié les emplois dans des secteurs où la présence syndicale est faible. Une fois le principe du salaire minimum acté, il faut se poser la question de son niveau. C’est là que les choses se compliquent car trois critères au moins doivent être pris en considération. Celui auquel on pense en premier est le niveau absolu du salaire minimum, identifié au salaire « nécessaire pour vivre ». Rappelons au passage que, lors de la création du SMIG, la CGT a refusé que le salaire minimum corresponde à un panier de biens, comme cela se fait aux Etats-Unis. L’objectivité est rendue encore plus difficile à atteindre au travers de la confusion fréquente entre salaire individuel – ce qu’est partout le salaire minimum – et l’utilisation de ce salaire au sein d’un ménage – avec, le cas échéant, plusieurs sources de revenu. Le second critère, qui vient en contrepoids du premier, est le fait que le niveau auquel un bien ou un service peut être vendu dépend de ce que le consommateur peut ou veut mettre. Certes, tout cela est partiellement psychologique, mais les substituts de l’échange marchand sont nombreux, depuis le do it yourself jusqu’au travail au noir. En conséquence, le niveau du salaire minimum est directement en concurrence avec le nombre des emplois. Ce n’est pas un hasard si le salaire conventionnel du CESU est inférieur au salaire minimum légal même si, évidemment, c’est ce dernier qui s’applique ! Le troisième critère est le ratio du salaire minimum au salaire moyen ou médian. Il est important, en effet, qu’il y ait une certaine dispersion des salaires, ne serait-ce que pour rémunérer la qualification. Dans les comparaisons internationales, ce ratio a l’avantage d’éliminer la question des niveaux de prix. On observe alors, sous réserve d’une actualisation des données, que, en France, l’année 2000, le SMIC représentait 60 % du salaire médian. A titre d’exemple, en Belgique, pour un salaire minimum de niveau analogue, le ratio n’est que de 50 % . En réalité, ce qui devrait interpeller l’opinion publique, c’est que le niveau du SMIC est tellement élevé que plus personne ne peut l’atteindre ! Pour ce qui concerne l’ensemble des salariés, depuis le 1er septembre 1993, les gouvernements successifs de la France ont inventé l’exonération des cotisations sociales pour les salaires proches du SMIC. Le but recherché était de diminuer le coût du travail sans toucher au SMIC. Concrètement, cela signifie qu’une partie des salaires proches du SMIC est socialisée, c’est-à-dire payée par le contribuable. Pour 22,2 Mrds€ en 2009 et 25,5 Mns de ménages, cela représente 870 € par ménage et par an ! En ce qui concerne les jeunes, on ne compte plus le nombre de contrats spécifiques qui ont pour caractéristique commune d’être dérogatoires du droit commun en matière de rémunération. On fêtera cette année le 37° anniversaire du premier Pacte national pour l’emploi des jeunes (Raymond Barre, 1977). C’est d’ailleurs ce Pacte qui inaugurait l’exonération de charges, à l’époque réservée aux apprentis et aux moins de 25 ans. Alors, si cela pouvait nous guérir, mettons en scène un jeu de rôle médiatique. Par la théâtralisation qu’il implique, il permettrait peut-être de faire remonter notre tropisme à ne pas regarder la réalité en face. L’Etat n’a pu déroger aux réalités du marché en matière de salaire minimum qu’en gageant le futur des salariés. On n’a pas assez remarqué que l’extension progressive des exonérations (à partir de 1997) a correspondu au financement du déficit de la Sécurité sociale par l’endettement de long terme au travers de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES, 1996). Partir sur des bases nouvelles en expurgeant les non-dits du passé, c’est normalement la vertu du psychodrame !

Assainissement des finances publiques françaises, le match des plans : ce que propose la France, ce que réclame Bruxelles

Le gouvernement présentera son plan d’assainissement des finances publiques mardi. Les 50 milliards de baisse des dépenses promis sur trois ans suffiront-ils à atteindre l’objectif du retour à 3% de déficit public pour 2015 réclamé par Bruxelles ?

En parallèle avec Philippe WAECHTER.

L’article complet est sur Atlantico.fr du 14 avril 2014

Mardi, le gouvernement doit présenter le détail son plan pour assainir les finances publiques françaises. Bruxelles a exigé de la France un retour à 3% de déficit public pour 2015. Si l’on s’en tient aux déclarations d’intention du gouvernement (50 milliards de baisse des dépenses sur trois ans), cet objectif est-il atteignable ?

D’abord, on peut rappeler que Bruxelles n’exige rien. La France, dans sa représentation parlementaire a accepté d’abord les critères de convergence puis le Pacte de stabilité dont l’un des critères est un déficit budgétaire inférieur à 3 %. C’est sa signature ; cette signature l’engage ; elle ne peut reprocher à personne l’objectif qu’elle s’est elle-même donnée. Dans n’importe quel contrat, il y a des clauses de sortie ; elle n’a pas pensé en mettre ; il lui faut assurer dignement son engagement.

Ensuite, l’objectif de déficit budgétaire de 3 % n’était qu’une étape dans un horizon plus large d’équilibre budgétaire en 2017 puis de diminution du ratio d’endettement pour le ramener à 60 % à raison de un vingtième de la différence entre le taux d’endettement public effectif et le ratio de 60%. Ces chiffres (3% de déficit, 60% de dette publique) ne sont pas des chiffres tabous. Néanmoins, ils sont la limite à partir de laquelle la dette publique n’est plus soutenable pour une croissance nominale de 5 % et des taux d’intérêt de 5 %. Au-delà, l’effet boule de neige de la dette se met en route et l’on paie les intérêts de la dette avec de nouveaux emprunts, ce qui est la meilleure façon de se ruiner.

Certes, les taux d’intérêts instantanés de la dette ne sont pas de 5 %, mais l’effet boule de neige de la dette est effectif en Grèce, en Espagne, en Italie, au Portugal et maintenant en France. Le retour du budget à l’équilibre est une urgence, ne serait-ce que pour se préparer au moment où les taux d’intérêt vont se mettre à remonter. Il est assez probable que les Etats-Unis s’y mettent en 2015. Que fera la Banque centrale européenne ?

Evidemment, on n’arrive plus facilement à l’équilibre budgétaire en évitant les dépenses. Or, il faut rappeler que les 50 milliards de baisse des dépenses sont la contrepartie de 50 milliards de moindres recettes. Les variations de recettes et de dépenses sont équilibrées, au moins sur le papier et sous réserve du calendrier de mise en œuvre. Dans les faits, on peut craindre que les réductions de recettes précèdent des réductions de dépenses qui ne sont pas encore rendues publiques. Certes, on peut rappeler que, dans les 50 milliards, il y a les 20 milliards du CICE théoriquement financés par l’augmentation de la TVA, effective depuis le 1er janvier 2014.

Comme les modèles économétriques reposent sur les coefficients d’élasticité établis sur des données passées, les évaluations chiffrées de ce qui va se passer sont pour le moins aléatoires. En octobre 2013, l’OFCE donnait quitus au gouvernement pour l’objectif de 3 % en 2015. Mais c’était avant le Pacte de responsabilité. En mars 2014, COE-Rexecode estime que l’objectif de 3 % ne sera atteint qu’en 2016. On aura toujours le temps de réviser cette estimation à la hausse au fur et à mesure que la crise va continuer à s’approfondir. Car, ce qui est toujours certain, c’est l’effet récessif d’une diminution immédiate de la dépense publique. Or, l’effort demandé aux administrations de Sécurité sociale et aux collectivités territoriales n’est pas neutre puisqu’il représente environ 300€ par français !

Bruxelles appelle également la France à engager des réformes structurelles sans préciser les moyens d’y parvenir (les Etats restant souverains dans l’application de cette volonté). Si l’on se base sur les observations que Bruxelles a déjà pu faire à la France par le passé, qu’attend réellement l’Union européenne de la France ? Quelles mesures lui apporterait satisfaction ?

La déclaration de politique générale d’Emmanuel Valls n’échappe pas à ce qui est un des plus grands malentendus de la macroéconomie moderne. C’est une habitude ancienne en France qu’elle soit réduite à une sorte de jeu de tuyaux et de vannes. La responsabilité du Premier ministre ou du Ministre de l’économie et des finances consiste à orienter les flux de richesses d’une manière qui soit la plus favorable à la croissance. Pourtant, on devrait savoir que cette approche ne peut concerner qu’une richesse déjà créée. Avant cette étape, il y a la décision d’acheter ou d’épargner, d’investir ou de placer. Ces décisions sont prises en fonction de taux de rendement qui dépendent de multiples paramètres dont on parle moins souvent : l’abondance des fonds propres – soit les profits passés, la fluidité du marché du travail – soit la capacité d’ajuster les effectifs à l’état de la demande, le niveau d’endettement – souvent la conséquence de l’un et de l’autre. Sans vouloir jouer les Cassandre, malgré le tabou levé par le Président François Hollande le 14 janvier dernier, nous n’avons pas encore les conditions d’une véritable politique de l’offre.

Les réformes structurelles à faire sont légion. Nicolas Sarkozy s’y était un peu essayé ; les six premiers mois du gouvernement Ayrault ont servi, pour partie, à défaire ce qui était à peine en chantier. L’OCDE avait un peu tenté de nous aiguiller. Le Premier Ministre avait tout fait pour retarder la publication de ce rapport. Les têtes de chapitre de ce rapport sont un programme à soi tout seul : 1/ renforcer la recherche et stimuler l’innovation ; 2/ renforcer la concurrence et le cadre réglementaire ; 3/ rendre le secteur public plus efficace ; 4/ réformer la fiscalité pour favoriser l’emploi et l’investissement ; 5/ réformer le marché du travail ; 6/ améliorer la performance du système éducatif ; 7/ améliorer la formation professionnelle ; 8/ améliorer le fonctionnement du marché du logement.

Il faudrait prendre le temps d’étudier les réformes récentes thème par thème pour voir à quel point elles tournent le dos aux orientations ainsi proposées. Quant à la concurrence, on attend le proche rapport de Thierry Thévenoud sur les véhicules de tourisme avec chauffeur ; mais il faut rappeler que ce fut l’un des premiers bras de fer mal mené et perdu par le gouvernement de François Fillon, il y a pratiquement six ans ; assurément, c’est une bonne nouvelle pour l’attentisme. Quant à la fiscalité, on oppose réduction du taux de l’IS à un moment où la profitabilité est des plus faibles sans revenir sur aucune des mesures touchant au patrimoine qui ont frappé l’activité économique comme un tir de grenaille. Quant à la réforme du marché du travail, on vient de faire un pas extraordinaire en proposant de renforcer le pouvoir des inspecteurs du travail au travers des ordonnances pénales. Il y a une science des systèmes qui s’attache à étudier les interactions et pour laquelle le tout est à la fois différent de la somme des parties et cohérent avec ce qu’elles sont. Ici, le tout de macroéconomie s’est complètement émancipé du milieu dans lequel baignent les parties. Ce devrait être le rôle d’un chef de gouvernement de s’attacher à la vision et de laisser les acteurs s’inscrire dans cette vision. Nous sommes dans l’injonction permanente et, on le voit tous les jours, dans la multiplication des pouvoirs de contravention.

Face à cela, fondamentalement, la Commission européenne n’impose rien. Ce qui lui donnerait satisfaction, c’est une France prospère, ouverte au monde, rayonnante d’unité pour porter le projet européen à la fois en interne et vis-à-vis du reste du monde. Dans cet ailleurs, le plus souvent, l’économie est régulée mais les hommes politiques ne tentent pas de contraindre les entreprises à maintenir des emplois qui n’ont plus d’utilité sociale ; le progrès technique est considéré comme une opportunité pour développer l’emploi dans des entreprises nouvelles ; le profit est l’indicateur de la réussite économique et le signe d’une contribution à l’enrichissement collectif.

Quelles sont à l’inverse les mesures, parmi celles que doit annoncer le gouvernement, qui pourraient braquer Bruxelles et qui rendraient les relations avec l’UE très difficiles ?

Nous sommes dans le domaine de la diplomatie. Il y a le dit et le non-dit. A plusieurs reprises, le président de la Commission européenne a pressé la France d’engager des réformes. Nous sortons à peine de la passe d’armes entre François Hollande et José-Manuel Barroso en juin 2013 et nous ouvrons à nouveau le feu à la veille des élections européennes.

A un moment ou à un autre, il faut se poser la question de savoir si nous n’épuisons pas nos partenaires à force de réclamer un statut spécial. Peut-être que le principal d’entre eux pourrait être tenté, à un moment ou à un autre, de reprendre son jeu et sa monnaie et d’abandonner le reste de l’Europe à son destin. Qui sait sur quoi débouchent les crises qui durent. On commence par jouer un jeu non coopératif ; cette formule diminue le gain du jeu ; à la fin, il y a toujours quelqu’un qui n’a plus envie de jouer.

Grand oral économique pour Manuel Valls : 5 experts pour évaluer les annonces du Premier ministre

Coup de pouce pour les revenus modestes, suppression des charges pour l’employeur d’un salarié payé au Smic, 50 milliards d’économies sur trois ans, le taux normal de l’impôt sur les sociétés réduit à 28% en 2020… Le Premier ministre est entré dans le détail de la politique que va mener son « gouvernement de combat », déclinant toute une série d’annonces lors de son discours de politique générale. Analyse de 5 économistes.

En parallèle avec Jacques BICHOT, Jean-Marc SYLVESTRE, Philippe CREVET et Christophe BOUCHER. Lire l’article complet dans Atlantico.fr du 9 avril

I. L’allègement des cotisations patronales et salariales

 1°) Est-ce efficace ?

Il faut toujours commencer par rappeler que l’idée même qu’une cotisation sociale puisse être partagée entre « patronale » et « salariale » est une fiction liée à l’histoire même des cotisations sociales. Par contre, ce fut, historiquement, un instrument bien commode de gestion de l’électorat. Alors que, en 1930, les parts patronales et salariales représentaient également 5 % du salaire, la première a dérivé bien plus rapidement que la seconde. C’était facile de laisser entendre aux salariés que la Sécurité sociale n’avait pas de coût. Au moment où la France a fait le choix de signer les accords de Maastricht (1992), elle s’engageait en même temps à ne plus dévaluer sa monnaie. Il devenait impossible de diminuer le niveau des coûts salariaux par la dévaluation. D’une manière très singulière, elle a choisi la voie de la socialisation des bas salaires. C’est en septembre 1993 que la première exonération de cotisations patronales a eu lieu. Par la suite, l’instrument n’a cessé d’être utilisé et instrumentalisé. Avec le projet d’Emmanuel Valls, une étape nouvelle vient d’être franchie : la modulation des cotisations d’assurances sociales sert désormais à distribuer du pouvoir d’achat directement. Nul doute que cette mesure est la première d’une longue série qui occupera nos parlementaires année après année.

Quant à savoir si cette mesure est efficace, il est bien difficile d’en juger. Commençons par la distribution de pouvoir d’achat aux salariés. Il devrait être évident que beaucoup de salariés continuent à raisonner en salaire net. en fonction du calendrier de sa mise en application, cette mesure pourrait être intégrée aux négociations annuelles de salaire. Evidemment, les salariés qui n’en bénéficient pas veilleront à obtenir une compensation. Au final, bien malin celui qui pourra démêler les gagnants et les perdants.

Quant à la réduction des charges patronales, la question clé est celle des contreparties. Il faut lire et relire la conférence de presse du 14 janvier dernier : « Elles doivent être définies au niveau national et déclinées par branches professionnelles. Elles porteront sur des objectifs chiffrés d’embauches, d’insertion des jeunes, de travail des séniors, de qualité de l’emploi, de formation, d’ouvertures de négociations sur les rémunérations et la modernisation du dialogue social ». Alors, cet engagement solennel du Président de la République est-il déjà obsolète ? Le short termism des hommes politiques va-t-il à nouveau frapper au point qu’on aurait renoncé à l’Observatoire des contreparties ? Voilà une clé, parmi d’autres de l’efficacité des politiques de réduction des charges sociales.

2°) Est-ce possible à financer étant donné la conjoncture et les délais impartis ?

La course contre la montre dans laquelle s’engage Emmanuel Valls repose sur l’idée que les allégements de charges vont débloquer les décisions d’investissement. Celles-ci vont entrainer embauche et croissance et donc recettes fiscales. Mais comment des entreprises laminées par la pluie de taxes qui s’est abattue sur elles depuis au moins trois ans peuvent-elles avancer les fonds propres qui servent de caution aux banquiers ?

Or, la socialisation des charges sociales équivaut en pratique à un transfert d’une catégorie de salariés sur les contribuables. Cependant, aujourd’hui, les contribuables ne veulent plus payer davantage d’impôts. C’est donc la dette publique qui augmente. En négociant à Bruxelles un report du calendrier d’équilibrage budgétaire, nos ministres de l’Economie et des Finances ont certainement envisagé une négociation avec les principales banques qui acceptent de financer une dette publique croissante.

 II. Les mesures d’assouplissement fiscal en direction des plus modestes (le but étant de « sortir » 5 Mds d’ici 2017)

1°) Est-ce efficace ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir comment ces sommes seront redistribuées et comment elles seront financées. Evidemment, l’hypothèse de base est que les plus modestes vont consommer immédiatement ces sommes et que cela va contribuer à relancer la demande. On ne peut exclure néanmoins qu’elles ne contribuent à diminuer l’offre de travail si elles viennent perturber les calculs de droits aux allocations diverses et variées. Par ailleurs, il faut savoir à quoi ces sommes seront utilisées. S’il s’agit de biens ou services importés, c’est un classique, cela ne sert qu’à stimuler les importations. Dans tous les cas, la modestie de la somme (5 milliards €) en fait un davantage un symbole qu’un instrument de relance.

2°) Est-ce possible à financer étant donné la conjoncture et les délais impartis ?

Si cet assouplissement fiscal a pour contrepartie un durcissement fiscal pour les classes moyennes, il est évident que l’effet global de la mesure est nul. En réalité, comme on aura rendu le système fiscal encore plus illisible, il est vraisemblablement négatif car démoralisant pour ceux qui 1/ ne bénéficient pas de l’allègement des charges salariales ; 2/ ne bénéficient pas de l’allègement fiscal !

 III. Ramener le taux de l’IS à 28% en seulement trois ans 

 1°) Est-ce efficace ?

Une diminution de l’IS est certainement bienvenue pour les entreprises qui dégagent des profits. Mais on devrait savoir que le calcul de l’assiette est au moins aussi important que le taux. Ainsi, le taux effectif est bien différent du taux nominal. Par ailleurs, l’IS n’est que l’une des multiples formes d’imposition qui frappe les entreprises. Il faudrait ici reprendre la liste des mesures fiscales qui se sont accumulées dans les douze mois qui ont encadré l’élection de François Hollande.

V. Supprimer les impôts à faibles rendements

 1°) Est-ce efficace ?

Il semble bien que l’un des impôts au rendement le plus faible est l’impôt de solidarité sur la fortune. Il est même l’un de facteurs les plus importants d’un exode fiscal constant depuis une génération. Alors, on a envie de dire : « chiche » !

VI. La réalisation de 50 milliards d’économie d’ici 2017 (à ce titre la promesse d’une baisse de 10 milliards sur l’assurance maladie est très intéressante : qui va payer sachant qu’elle doit être faîte en deux ans et que les cotisations salariales ne la financeront plus)

 1°) Est-ce efficace ?

Il est évident que les économies budgétaires sont aujourd’hui l’unique voie qui subsiste pour retrouver l’équilibre budgétaire. On a vu à l’automne que le consentement à l’impôt avait atteint ses limites et il est peu vraisemblable qu’on puisse encore beaucoup jouer avec l’opinion publique sur ce sujet.

 2°) Est-ce possible ?

Cependant, pour y arriver, il faut accepter des réformes structures dans l’ensemble des administrations publiques. A juste titre, le Premier ministre demande des efforts aux trois administrations, centrale, territoriale et de sécurité sociale. Reste qu’il est impossible d’y arriver dans les structures existantes et qu’aucune réforme un peu sensible n’a été faite dans ce sens. Si la Révision générale des politiques publiques a été considérée comme brutale, elle a permis d’économiser 28 milliards d’euros le temps d’un quinquennat. Il faut doubler la mise en la moitié de temps. Or, on ne fait rien contre les hommes !

L’échec d’une tentative de dirigisme économique

22 mois de gouvernement Ayrault : entre lois avortées, retoquées ou ajournées, quel bilan concret ? Bien qu’il ait promis de « réenchanter le rêve français » le gouvernement Ayrault est loin d’avoir accompli les ambitions de sa politique. Du Pacte de responsabilité à la loi famille, le résultat ne colle pas vraiment aux promesses…

Lire sur Atlantico.fr du 29 mars 2014