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La guerre des changes : un échec de la gouvernance mondiale

Publié dans La Croix du 26 janvier 2015

En ce début 2015, les amateurs de sensations fortes sont déjà comblés. En matière de changes, ils ont assisté à la lente appréciation du dollar face à l’euro (+15% depuis le 1er juillet 2014), subi l’effondrement provoqué du rouble face au dollar (50% sur la même période) ou à l’euro (seulement 40 %), découvert avec stupeur l’envolée du franc suisse (+20% en trois jours). Mais ce n’est pas tout ! Hors Europe, dans le dernier trimestre 2014, le yen s’est déprécié de 20 % par rapport au dollar. Dans ce contexte, le renminbi chinois paraît être un oasis de stabilité par rapport au dollar, mais il s’apprécie de 17% en six mois par rapport à l’euro. Pour compliquer la donne, le prix du pétrole, exprimé en dollar, a baissé de 50 % en un an tandis que les autres matières premières sont à un cours plancher historique.

Manifestement, nous entrons dans une nouvelle phase de la crise mondiale née des subprimes. Il est facile de comprendre que, à l’incertitude qui pèse sur le rythme de la demande en volume s’ajoute désormais une incertitude sur le prix auquel il sera possible de vendre sur les marchés extérieurs. Pour les membres de la zone euro, l’appréciation du dollar est une opportunité… dans la zone dollar dont, pour l’instant, la Chine, mais ni au Japon, ni en Russie, ni même au Brésil.

Cette incertitude est un échec pour les institutions internationales.

C’est un échec pour l’Organisation mondiale du commerce où les négociations portent sur une limitation des barrières douanières qui ne représentent, le plus souvent, que quelques points de la valeur des échanges. Ainsi, par exemple, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement en cours de négociations entre les Etats-Unis et l’Union européenne, envisage de supprimer totalement les droits de douane sur les automobiles. Or, ils représentent 10 % de la valeur des voitures européennes importées aux Etats-Unis mais seulement 2 % pour les voitures américaines importées en Europe. Que représentent ces chiffres, gérés sur le long terme, par rapport à des basculements de change de 20 % en moins de six mois.

C’est aussi un échec pour le Fonds monétaire international. Certes, l’institution gardienne des relations monétaires internationales autorise le régime des changes flottants. Mais les fluctuations d’envergure destinées à se donner un avantage en termes de compétitivité sont normalement proscrites.

Enfin, c’est un échec pour la coordination des politiques macroéconomiques. Face à la crise des subprimes, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon ont pratiqué le quantitave easing, c’est-à-dire le rachat de titres publics par leurs banques centrales respectives. La zone euro ne l’a pas fait. Cela expliquerait la sous-évaluation du dollar de ces dernières années. Aujourd’hui, les politiques monétaires se retournent : La zone euro envisage un quantitative easing quand les Etats-Unis en sortent. Cela expliquerait l’appréciation du dollar… et du franc suisse. Peut-être ! Mais si cette politique avait été menée parallèlement en Europe et aux Etats-Unis, le problème ne se serait pas posé dans les mêmes termes.

Une dernière série de faits confirme qu’aucune de ces évolutions n’est le fruit d’une causalité purement marchande. Lors du sommet de Fortaleza, en juillet 2014, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont confirmé leur volonté de construire des institutions concurrentes du FMI et de la Banque mondiale. A terme, ils annoncent explicitement leur volonté de se passer du dollar pour leurs échanges internationaux. Ils sont passés à l’acte puisque, depuis 2006, la Russie a mis en œuvre un programme d’achat d’or en lieu et place d’une détention de bons du Trésor américains. La Chine a cessé d’acheter ces mêmes bons du Trésor et préfère des biens réels, à la rentabilité incertaine, comme l’aéroport de Toulouse, pour prendre un exemple proche de nous. Or, trois des pays du BRICS – Brésil, Russie, Afrique du Sud – dépendent, pour leur croissance, du prix des matières premières. La maîtrise de ces prix représente une carte maîtresse dans le jeu qui se noue autour de la monnaie mondiale, pour la confirmation ou l’infirmation du rôle central du dollar. Espérons que cela ne reste qu’un jeu !

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