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Du Smic jeunes à la prime d’activité

Cela fait maintenant plus de quarante ans que la France essaie de sortir de la difficulté d’un salaire minimum trop élevé pour certaines catégories de personnels. Une partie des jeunes sans véritable formation sont dans ce cas. Une solution serait d’ajuster leur salaire à leur productivité, ce que concède Pascal Lamy. François Hollande préfère leur donner une prime d’activité. Le prix du travail est donc un peu plus déconnecté encore de la réalité économique et personne ne pourra revenir en arrière !

Publié dans La Croix du 1er juin 2015

Le 2 avril 2014, Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, déclarait sur La Chaîne Parlementaire : « Je sais que je ne suis pas en harmonie avec une bonne partie de mes camarades socialistes, mais je pense qu’à ce niveau de chômage, il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au smic ». Un an plus tard, le 19 avril, le Président François Hollande annonce une « prime d’activité » dont les jeunes de 18 à 25 ans pourront bénéficier. Même si, a priori, cette mesure est neutre pour les entreprises, il est évident qu’elle enterre l’idée même qu’il puisse y avoir un salaire minimum spécifique aux jeunes. Quant à connaître ses conséquences, rien n’est évident et on peut s’essayer à quelques hypothèses.

L’argument en faveur d’un ajustement du salaire minimum au pouvoir d’achat des ménages est relativement simple. L’employeur ne peut verser en salaire que ce que le consommateur final accepte de payer. S’il n’y a pas d’achat, il n’y a pas d’emploi. On peut toujours essayer d’éduquer le consommateur pour qu’il accepte de payer plus cher un bien ou un service. Mais il suffit de voir quel pourboire les Français acceptent de donner dans les pays où il est laissé à sa libre appréciation pour comprendre que leur bienveillance est généralement très limitée. Les jeunes entrent dans le cadre de cette analyse si et seulement si ils sont peu formés et/ou que leur productivité est faible. Même si Martine Aubry « n’y croit pas » (Le Monde, 19 juin 1991), la modération du Smic est normalement favorable à l’emploi.

« Le smic jeunes, nous y sommes bien sûr fermement opposés » a répliqué Mme Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de la Jeunesse et des sports, lorsque Pierre Gattaz a rebondi sur l’idée avancée par Pascal Lamy (15 avril 2014). C’était oublier beaucoup de choses. En particulier, on peut considérer que les contrats en alternance, les stages et les emplois d’avenir sont trois systèmes qui sont destinés à favoriser l’apprentissage pour les jeunes. Or, ils dérogent effectivement à la règle du salaire minimum.

L’opposition de principe de Mme Vallaud-Belkacem surfe donc sur ces faits sans jamais les rencontrer. A supposer qu’elle ne soit pas pur clientélisme, quelle est donc la logique de la future prime d’activité, lorsqu’elle est étendue aux jeunes ? Selon toute vraisemblance, elle constitue une étape dans l’élargissement de l’accès des jeunes aux avantages du revenu minimum d’insertion. C’est un débat ancien qui revient périodiquement sur le devant de l’actualité depuis la création du RMI en 1988. En 1992, René Teulade, ministre des Affaires sociales et de l’intégration du Gouvernement Bérégovoy se refuse à accorder le FMI aux moins de 25 ans. En 1997, au nom des Verts, Alain Lipietz la demande sans plus de succès. Finalement, ce sera Nicolas Sarkozy qui fera le premier pas dans ce sens quand, le 1er septembre 2010, il accordera le RSA aux jeunes de moins de 25 ans pour peu qu’ils aient travaillé l’équivalent de deux ans au cours des trois dernières années.

Logiquement, même si cela est difficile à prouver avec des arguments statistiques, ce RSA-socle de 541€ entre en concurrence avec un emploi à temps partiel payé au Smic. La prime d’activité a donc un effet incitatif pour contrer l’effet désincitatif des revenus sociaux. François Hollande le dit lui-même : « On va leur donner une prime supplémentaire pour que ça puisse être avantageux de travailler ». A ce moment du discours politique, la prime d’activité est conçue pour les jeunes ayant une activité professionnelle. La question qui va très vite se poser consiste à savoir comment l’étendre au plus grand nombre.

La chose fut vite faite. Initialement, et encore dans le « projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi » tel que publié le 22 avril 2015, il est exactement écrit : « les étudiants ou les apprentis ne sont pas éligibles à la prime »[i]. Dès le lendemain, suivant les « souhaits » du Président François Hollande, le site du Ministère du travail fait savoir que « la prime d’activité serait élargie aux étudiants salariés et aux apprentis travaillant assez pour toucher au moins une rémunération de l’ordre de 80 % du SMIC ». Cette fois, l’argument relève expressément du pouvoir d’achat des jeunes. Comme l’argent distribué ici est prélevé là, cela n’a aucun impact sur l’activité macroéconomique et donc sur l’emploi.

En conclusion, on observe trois choses. Premièrement, le discours politique est certainement à géométrie variable, mais le cap à gauche est donné et poursuivi avec une belle constance sur la longue durée. Ce cap, évidemment, est la socialisation des revenus.

Deuxièmement, alors que la question posée il y a vingt ans déjà, il y a un an encore, était de savoir s’il fallait instaurer un niveau de Smic particulier pour les jeunes, la solution socialiste a été de créer une prime pour les jeunes payés au Smic, c’est-à-dire d’abonder sur une rémunération déjà trop élevée pour le marché.

Enfin, il est vraisemblable que les fausses inscriptions d’étudiants vont diminuer puisque, comme étudiant, à 25 % du Smic on ne touche rien ; comme salarié, au même niveau de rémunération, on touche 185€ mensuels de prime ! A l’inverse, les moins de 25 ans qui gagnent plus de 1,4 Smic ne toucheront rien. Après tout, ils n’avaient qu’à pas réussir ni leurs études, ni leur insertion professionnelle !

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La doctrine sociale de l’Église et l’accumulation du capital : une négligence coupable ?

Publié dans La Croix des 1er et 8 décembre 2014

Dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile, avec la force de conviction qu’on lui connaît, le pape François s’insurge contre ce que, en France, on appelle les licenciements boursiers : « l’économie ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus » (§ 204). Bien entendu, ce cri du cœur ne doit pas être pris pour la lettre de l’enseignement de l’Église catholique en matière sociale et économique et le pape s’en défend expressément (§ 184). Mais, à moins que le sens de la formule ne doive par principe l’emporter sur la rigueur de la réflexion, on est en droit de procéder à une analyse littérale de ce qui ressemble à un impératif catégorique.

Notons d’abord que, en France au moins, « la seule recherche d’économie, alors que la situation économique et financière de l’entreprise est bonne, ne peut justifier un licenciement ». L’exhortation apostolique est pour le monde, et la France en fait partie. Faut-il conclure que, pour le pape François, notre pays représente un modèle de gestion du marché de l’emploi ? On peut en douter au vu du nombre de chômeurs de longue durée qui sont autant d’« exclus » !

Car, pour le pape François, on passe sans solution de continuité du statut de salarié à celui d’exclu. Or, un autre passage de l’exhortation apostolique est d’une virulence extrême. A la vue, très certainement, des bidonvilles d’Argentine, il écrit que « les exclus ne sont pas des ‘exploités’, mais des déchets, ‘des restes’ » (§ 53). Rapprochant les deux paragraphes, on ne peut considérer cette formule comme exacte là où existe une allocation de chômage, surtout quand elle offre une couverture longue, comme en France. S’il est exclu de la société de production, le chômeur indemnisé n’est pas exclu de la société de consommation. Au final, qu’on le veuille ou non, ces « déchets » du pape François renvoient à l’image de l’armée de réserve des travailleurs chez K. Marx. A une nuance près, et elle est de taille : l’armée de réserve des travailleurs chez K. Marx était la conséquence du développement du capitalisme ; les exclus d’Argentine ou d’autres émergents ont rarement été salariés et le principal problème qui se pose à eux est l’insuffisance du capital mis en œuvre pour les employer.

Allons plus loin. À supposer que l’on réussisse effectivement à « augmenter la rentabilité en réduisant » immédiatement « le marché du travail », l’impact effectif à terme dépend directement de l’usage qui sera fait de l’argent ainsi économisé sur les travailleurs. Si cet argent nourrit « la spéculation financière » au sens strict du terme, alors le pape a raison. Davantage d’argent sur des marchés financiers représentatifs d’une économie stagnante fait monter les cours de façon quasi mécanique… jusqu’à la prochaine bulle. Mais si cet argent se concrétise en investissements sur des projets nouveaux, l’emploi augmentera. Quant à savoir si cela se fera à un niveau tel que les chômeurs seront tous (r)-embauchés, nul ne peut le dire ex ante.

Fondamentalement, ce que ce raisonnement montre, c’est que l’accumulation du capital sur des projets nouveaux est la meilleure façon de lutter contre le chômage et contre l’exclusion. Or, sur ce sujet, la doctrine sociale de l’Église est loin d’être prolixe. Tout se passe comme si le capital était déjà constitué et qu’il se reproduisait sans difficulté notable. Dans ce contexte, le problème est moins dans son accumulation que dans son orientation. Dans une allocution aux membres du Congrès international du Crédit, Pie XII déclare : « que de capitaux se perdent dans le gaspillage, dans le luxe, dans l’égoïste et fastidieuse jouissance ou s’accumulent et dorment sans profit »[i]. Le capital est là, mais il sert à acheter une propriété de 50 Mns€ à Hawaii [ii]: rien de nouveau sous le soleil ! Le capital est là, mais il dort « sans profit » : à une époque où la thésaurisation était une pratique courante, elle est jugée coupable de ne pas exercer « la vertu de magnificence ». Ici, c’est Pie XI qui parle, en conclusion d’une formule où il est demandé que l’utilisation du capital porte sur « des biens réellement utiles »[iii].

Mais que dire si une partie du capital est détruit par le processus de destruction créatrice mis en lumière par J. A. Schumpeter à la charnière du XX° siècle ? Voilà bien une question que la doctrine sociale devrait affronter : comment transformer du revenu en capital pour accroître le volume de l’emploi. [A suivre…]

[Deuxième partie]

Dans un débat récent avec Thomas Piketty, Bill Gates rappelle que, à côté du succès d’Henry Ford, « nombre de personnes (…) ont vu leurs investissements disparaître entre 1910 et 1940, quand le nombre de constructeurs américains est passé de 224 à 21 »[iv]. Ainsi, le capital peut être détruit et il doit être reconstitué sur d’autres bases. Plus généralement, dans les pays émergents, par définition même, le stock de capital est insuffisant pour offrir un emploi à toute la population. Or, cet aspect du problème est occulté dans la doctrine sociale de l’Église. L’encyclique Centesimus annus de Saint Jean-Paul II « reconnaît le rôle pertinent du profit comme indicateur de bon fonctionnement de l’entreprise »[v]. Si ce rôle est immédiatement tempéré de façon à « n’être pas le seul indicateur de la santé de l’entreprise », l’idée que ces profits puissent être utilisés pour accumuler du capital et créer des emplois n’est pas évoquée.

Peut-être que ce silence provient d’une gêne par rapport aux textes évangéliques eux-mêmes. Au jeune homme riche, le Christ dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le au pauvre, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi »[vi]. Les premiers disciples ont appliqué à la lettre cette transformation du capital en revenu : « Ils vendaient leurs biens et possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun »[vii]. Peut-on rapprocher cet élan eschatologique, brisé par le retour tardif du Seigneur, de la quête impérée par Saint Paul aux chrétiens de Macédoine « pour aider les fidèles de Jérusalem »[viii] ? En tout cas, ce conseil personnalisé (ici, au jeune homme riche) doit être tempéré par la parabole des talents, à destination universelle. Or, que dit-elle, au moins dans son sens littéral ? D’abord, que « l’homme qui part en voyage » fait une dotation en capital ; ensuite qu’il exige un accroissement de ce capital ; enfin, que cet accroissement doit atteindre au moins le taux d’intérêt bancaire[ix].

Dans une Europe en crise, où le fléau du chômage est tellement répandu, il est devenu impératif de reconstituer du capital car jamais le stock de chômeurs ne sera résorbé par les entreprises existantes. Le taux de marge des entreprises est une des clés du problème, avec toutes les réserves que l’on peut imaginer. Mais cela ne peut suffire : le taux d’imposition des personnes riches doit être tel qu’ils puissent exercer cette « vertu de magnificence » évoquée par Pie XII. Plus largement, l’entrepreneuriat doit être favorisé, moins par des subventions que par la possibilité de constituer des profits et de les accumuler.

Dans un monde où l’emploi informel concerne 1,8 Mrds de personnes (sur trois milliards d’emplois), il est fondamental de trouver assez de capital pour donner à ces populations les outils qui leur permettront d’accroître leur efficacité et leur revenu. Cela suppose des transferts financiers depuis les pays riches ; ceux-ci peuvent prendre la forme d’investissements directs étrangers mais aussi de placements financiers. Or, dès qu’une entreprise française investit dans un pays émergent, qu’elle y transfère son épargne, son savoir-faire et les compétences de ses cadres, l’opinion publique crie au scandale de la délocalisation. Il s’agit bien pourtant d’une forme de partage de nos richesses organisé par une institution non étatique au bénéfice de populations pauvres ! Même si ces transferts privés entraînaient une baisse de notre propre niveau de vie, ce qui ne se vérifie pas en général, l’Église devrait y retrouver une trace du message évangélique.

Alors, est-il encore temps de fustiger la pression de la rentabilité financière à court terme ? Certainement et nombre de dirigeants salariés la dénoncent. Mais il faut alors rappeler que la tradition de l’Église signale sa préférence pour un capital utilisé comme un prolongement de la personne. Autrement dit, lorsque le pape François condamne « la spéculation financière », il fait mouche. Mais il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La lutte contre le lucre ne doit pas être telle qu’elle empêche les entrepreneurs de se faire « des amis avec l’argent trompeur »[x].

[i] 24 octobre 1951, DC 1952

[ii] Média Internet http://www.huffingtonpost.fr/2014/10/01/mark-zuckerberg-offre-ile_n_5913932.html

[iii] Quadragesimo Anno, AAS 23 (1931)

[iv] Bill Gates, Why Inequality Matters, « The Blog of Bill Gates », 13 octobre 2014, Média Internet http://www.gatesnotes.com/Books/Why-Inequality-Matters-Capital-in-21st-Century-Review.

[v] § 35

[vi] Saint Matthieu 19, 21

[vii] Actes 2, 45

[viii] Deuxième lettre de Saint Paul, apôtre, aux Corinthiens 8, 4

[ix] Saint Matthieu 25, 14-30

[x] Saint Luc 16, 9

L’enlisement

Publié dans La Croix du 9 septembre 2014

« Je veux accélérer les réformes »[i]. En parlant le premier, François Hollande pensait donner le ton de la rentrée politique. On sait désormais que son « moi, Président » n’est plus qu’une parole dans la cacophonie des « moi, futur président ». Les conflits d’ego encombrent ainsi la une des journaux et, pendant ce temps, entrepreneurs et dirigeants désespèrent d’un cadre clair et stable pour prendre leurs décisions économiques. Pour illustrer ce point, rien ne vaut l’étude rétrospective des allègements de charges sociales. On n’approfondira pas ici le bien-fondé d’une stratégie de la puissance publique qui remonte à 1991. On supposera que, le même objectif ayant été poursuivi par de nombreux gouvernements depuis cette date, il y a un minimum de consensus sur le sujet au moins chez ceux qui exercent effectivement le pouvoir.

D’une manière peu amène, Nicolas Sarkozy a attendu la fin de son mandat pour mettre en œuvre une forme de TVA sociale, rebaptisée selon les humeurs, « TVA antidélocalisation » ou « TVA compétitivité ». Pour aller à l’essentiel, il s’agissait d’un transfert des cotisations familiales à charge des employeurs sur la TVA d’une part, la CSG sur les revenus financiers d’autre part. Ce jeu de tuyauterie, qui consiste à faire passer les prélèvements par la case « charges sociales », « contribution », « impôts directs » ou « indirects » portait sur un montant de 13 Mrds€.

Comme il l’avait annoncé durant la campagne électorale, François Hollande fait annuler la loi et reprend le problème à zéro avec la Conférence sociale des 9 et 10 juillet. Après la maturation de l’été, il en ressort, selon les indiscrétions du Monde du 3 octobre[ii], un basculement des cotisations sociales, mais sur la CSG. Le montant à terme devait atteindre 40 Mrds€ à raison de 8 Mrds€ par an. Au final, cela représentait une socialisation du coût salarial chargé de 5 % en cinq ans.

L’encre du journal était à peine séchée que Louis Gallois remettait son rapport dont le titre introduit un mot qui fera date : le Pacte pour la compétitivité de l’industrie française (5 novembre). Le « choc de compétitivité » qu’il préconisait portait sur 30 Mrds€ et le rapport d’ajouter que cela ne représente que « la moitié de la perte de marge des entreprises depuis 2001 » (p. 23). Par ailleurs, ce rapport comporte deux séries de nouveautés. Du côté du basculement des charges, les cotisations sociales des salariés pourraient être concernées et les allègements pourraient monter jusqu’à 3,5 SMIC (contre 2,1 pour la TVA sociale). Du côté du financement, sans trancher sur la nature des impôts nouveaux, le rapport introduit par ailleurs la possibilité d’une diminution des dépenses publiques aux trois niveaux des administrations – Etat, collectivités territoriales, Sécurité sociale.

C’est prétendument sur cette base qu’est créé le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). Annoncé dès le 6 novembre, il entre en vigueur en janvier 2013. Mais, au lieu d’un mécanisme simple de réduction immédiate des charges, dont la lisibilité sur le coût du travail et sur la trésorerie des entreprises est immédiate, il s’agit d’une véritable usine à gaz. La baisse des cotisations sociales est accordée sous forme d’un crédit d’impôt utilisable en 2014. Grâce à ce subterfuge, le financement peut être noyé dans un brouillard intertemporel. Dans les faits l’augmentation de la TVA a bien eu bien en 2014, mais les projets de fiscalité écologique (taxation du diesel et surtout l’écotaxe) ont avorté. Quant au volet « réduction des dépenses », il est tout simplement illisible ailleurs que dans les déclarations d’intention. Quoiqu’il en soit du bouclage final, c’est la trésorerie des entreprises qui préfinance le basculement des charges qui financent le système de protection sociale.

Mais la nouveauté radicale est ailleurs. On pensait qu’il s’agissait simplement de diminuer le coût du travail ; en fait, il s’agit en même temps d’accroître le pouvoir de contrôle de l’Etat et des syndicats de salariés sur la gestion des entreprises. « Le CICE ayant pour objet le financement de l’amélioration de la compétitivité des entreprises à travers notamment des efforts en matière d’investissement… l’entreprise doit retracer dans ses comptes annuels l’utilisation du crédit d’impôt conformément à ces objectifs »[iii]. Si l’on suit la longue liste des objectifs donnés par la puissance publique, l’entreprise n’a pas le droit de baisser ses prix, ce qui est une étrange façon de favoriser la compétitivité !

On croyait l’affaire pliée mais le président de la République décide d’aller plus loin avec le Pacte national de responsabilité et de solidarité (21 janvier 2014). L’incroyable nouveauté de ce Pacte, c’est que le Gouvernement décide d’accroître le SMIC net en socialisant une partie des cotisations sociales à la charge des salariés. En principe, le salaire est la contrepartie de la richesse créée. Avec François Hollande, le salaire est la contrepartie de réductions futures des dépenses publiques. Or, cette réduction devait permettre à la France de ramener le déficit budgétaire dans la fourchette des 3 %. L’explosion en vol de la solidarité gouvernementale provient en partie du fait que les réductions de dépenses publiques et sociales ont été affectées deux fois.

Mais ce n’est pas tout. Le 6 août, cette disposition a été annulée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle introduit une « différence de traitement entre des salariés ayant droit à des prestation sociales identiques ». On s’étonne, à dire vrai, d’un tel jugement. Si l’on accepte de sortir de la fiction que représente la distinction entre charges sociales salariales et charges patronales, c’est toute la politique de socialisation des charges qui introduit une différence de traitement ! Néanmoins, même si elle est mal placée, le Conseil constitutionnel aura enfin marqué une ligne rouge en matière de socialisation des salaires !

Essayons de conclure. Si, contre mauvaise fortune bon cœur, François Hollande s’était contenté d’appliquer la TVA sociale imposée par Nicolas Sarkozy, en deux ans, 26 Mrds€ auraient été transférés aux entreprises pour reconstituer leurs marges. C’est le tiers de l’effort à faire selon Louis Gallois, la moitié selon Michel Sapin ![iv] Ce même ministre estime que, « aux deux tiers du second trimestre (2014), les créances du CICE des entreprises représentaient près de 7 Mrds€ »[v]. C’est un quart de ce que le laissez faire aurait permis d’atteindre. On comprend l’attentisme des dirigeants. On peut comprendre que, pour le Premier ministre, il soit « hors de question » de changer de cap. Mondanités mises à part, on s’étonne de la standing ovation des premiers au second lors de l’Université d’été du MEDEF car il n’a fait que confirmer ce cap suivi depuis deux ans, celui de l’enlisement.

[i] Le Monde du jeudi 21 août 2014

[ii] Média Internet, http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2012/10/03/cout-du-travail-ce-que-prepare-l-elysee_1769200_823448.html

[iii] Le portail de l’Économie et des Finances, Média Internet, http://www.economie.gouv.fr/ma-competitivite/quest-que-credit-dimpot-pour-competitivite-et-lemploi

[iv] Il est vrai que la référence du premier porte sur les marges de 2001, celle du second, sur les marges de 2007.

[v] Michel Sapin (2014), « Les entreprises doivent saisir cette chance », Libération, 17 août, Média Internet, http://www.liberation.fr/economie/2014/08/17/michel-sapin-les-entreprises-doivent-saisir-cette-chance_1082252

Le psychodrame du SMIC

Publié dans La Croix du 28 avril 2014

Au détour d’une question posée lors d’un point de presse mensuel, Pierre Gattaz a évoqué sa préférence pour l’emploi des jeunes plutôt que leur inactivité, fut-ce au prix d’un salaire inférieur au minimum légal. Et voilà la France confrontée à un de ses tabous dont aucun psychodrame ne peut la libérer. Qu’il s’agisse d’un tabou, au sens d’une prohibition à caractère sacré ne fait aucun doute. Sa transgression a donné lieu à une condamnation immédiate d’« esclavagisme » par Laurence Parisot. On aurait cru sa liberté de parole enchaînée par une règle implicite de la démocratie qui veut que l’on s’incline devant le choix des mandants. Mais enfin, la société française n’a-t-elle pas inventé le culte de la raison ? Les tabous ne doivent-ils pas rendre compte de leurs prétentions à cette moderne déesse ? Et le critère ultime de la raison n’est-il pas de rendre compte des faits ? Le premier fait est que le salaire minimum est une nécessité car, comme le disait Adam Smith lui-même, « les maîtres [c’est-à-dire les employeurs] sont en tout temps et partout dans une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel ». Il faut néanmoins concéder que le droit de coalition a bien modifié les choses. Dans une étude parue en décembre 2012 et portant sur des données de 2009, la DARES montre que le salaire conventionnel moyen des ouvriers est supérieur au SMIC de 7,8 % et que l’écart maximum est de 66 % . On en tire la conclusion que le rôle du salaire minimum est de renforcer le pouvoir de négociation des salariés là où leur dispersion les réduit au silence. C’est sans aucun doute le motif de l’introduction récente d’un salaire minimum au Royaume-Uni (1999) ou en Allemagne (à horizon 2017) car le développement de la société de services a multiplié les emplois dans des secteurs où la présence syndicale est faible. Une fois le principe du salaire minimum acté, il faut se poser la question de son niveau. C’est là que les choses se compliquent car trois critères au moins doivent être pris en considération. Celui auquel on pense en premier est le niveau absolu du salaire minimum, identifié au salaire « nécessaire pour vivre ». Rappelons au passage que, lors de la création du SMIG, la CGT a refusé que le salaire minimum corresponde à un panier de biens, comme cela se fait aux Etats-Unis. L’objectivité est rendue encore plus difficile à atteindre au travers de la confusion fréquente entre salaire individuel – ce qu’est partout le salaire minimum – et l’utilisation de ce salaire au sein d’un ménage – avec, le cas échéant, plusieurs sources de revenu. Le second critère, qui vient en contrepoids du premier, est le fait que le niveau auquel un bien ou un service peut être vendu dépend de ce que le consommateur peut ou veut mettre. Certes, tout cela est partiellement psychologique, mais les substituts de l’échange marchand sont nombreux, depuis le do it yourself jusqu’au travail au noir. En conséquence, le niveau du salaire minimum est directement en concurrence avec le nombre des emplois. Ce n’est pas un hasard si le salaire conventionnel du CESU est inférieur au salaire minimum légal même si, évidemment, c’est ce dernier qui s’applique ! Le troisième critère est le ratio du salaire minimum au salaire moyen ou médian. Il est important, en effet, qu’il y ait une certaine dispersion des salaires, ne serait-ce que pour rémunérer la qualification. Dans les comparaisons internationales, ce ratio a l’avantage d’éliminer la question des niveaux de prix. On observe alors, sous réserve d’une actualisation des données, que, en France, l’année 2000, le SMIC représentait 60 % du salaire médian. A titre d’exemple, en Belgique, pour un salaire minimum de niveau analogue, le ratio n’est que de 50 % . En réalité, ce qui devrait interpeller l’opinion publique, c’est que le niveau du SMIC est tellement élevé que plus personne ne peut l’atteindre ! Pour ce qui concerne l’ensemble des salariés, depuis le 1er septembre 1993, les gouvernements successifs de la France ont inventé l’exonération des cotisations sociales pour les salaires proches du SMIC. Le but recherché était de diminuer le coût du travail sans toucher au SMIC. Concrètement, cela signifie qu’une partie des salaires proches du SMIC est socialisée, c’est-à-dire payée par le contribuable. Pour 22,2 Mrds€ en 2009 et 25,5 Mns de ménages, cela représente 870 € par ménage et par an ! En ce qui concerne les jeunes, on ne compte plus le nombre de contrats spécifiques qui ont pour caractéristique commune d’être dérogatoires du droit commun en matière de rémunération. On fêtera cette année le 37° anniversaire du premier Pacte national pour l’emploi des jeunes (Raymond Barre, 1977). C’est d’ailleurs ce Pacte qui inaugurait l’exonération de charges, à l’époque réservée aux apprentis et aux moins de 25 ans. Alors, si cela pouvait nous guérir, mettons en scène un jeu de rôle médiatique. Par la théâtralisation qu’il implique, il permettrait peut-être de faire remonter notre tropisme à ne pas regarder la réalité en face. L’Etat n’a pu déroger aux réalités du marché en matière de salaire minimum qu’en gageant le futur des salariés. On n’a pas assez remarqué que l’extension progressive des exonérations (à partir de 1997) a correspondu au financement du déficit de la Sécurité sociale par l’endettement de long terme au travers de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES, 1996). Partir sur des bases nouvelles en expurgeant les non-dits du passé, c’est normalement la vertu du psychodrame !

5 conseils à Michel Sapin pour faire reculer le chômage

FIGAROVOX/ANALYSE : En plein entre-deux-tours des élections municipales , Pôle emploi a annoncé mercredi une forte hausse du chômage en février. L’économiste Gérard Thoris propose 5 pistes pour retrouver le chemin de l’emploi.

Publié sur FigaroVox le 27 mars 2014