La fin de la monnaie manuelle ?

Avez-vous déjà pensé à vous faire implanter une puce intradermique ? Ce serait un nouveau moyen très pratique de « payer de sa personne ». Est-ce sans inconvénient ? A vous de réfléchir !

Publié dans La Croix du 29 juin 2015

La monnaie est un pouvoir. C’est un pouvoir de choix. C’est un pouvoir d’achat.

L’expérience commune est que, pour disposer de pouvoir d’achat, il faut commencer par offrir ses services sur le marché du travail et en retirer une rémunération. Ici, la monnaie est acquise en contrepartie d’une mise au service de la collectivité des talents reçus et exploités. Ensuite, chacun est libre d’en faire ce qu’il veut : c’est son pouvoir de choix.

En tant que pouvoir de choix, la monnaie oriente toute l’activité économique. Ce sont les votes exercés par les consommateurs avec leurs euros qui déterminent ce qui sera produit, en quelles quantités et, indirectement, à quel prix. Les innovations technologiques elles-mêmes sont tout entière suspendues à son verdict !

Mais la monnaie cache un autre pouvoir : celui de sa mise en circulation. Lorsque la monnaie était un métal précieux, le bénéfice de la mise en circulation monétaire allait à celui qui le découvrait. Les pouvoirs publics se contentaient d’y mettre leur effigie. Lorsque la monnaie est devenue fiduciaire (les billets), les bénéfices de la création monétaire allaient aux banques qui émettaient ces billets. Enfin, avec la monnaie scripturale (qui circule par les chèques et les cartes bancaires), les bénéfices de la création monétaire vont à toutes les banques dites de second rang (BNP Paribas, LCL, Société générale, etc.). Mais il faut noter que, dans les deux derniers cas, la monnaie était créée en contrepartie de nouvelles activités économiques. Comme le disait l’économiste français François Simiand : une des fonctions essentielles de la monnaie, « est de constituer une anticipation, disons mieux, une réalisation dès maintenant actuelle d’une richesse future ».

Aujourd’hui, tout cela est profondément remis en cause.

Les Etats sont endettés et leurs obligations sont achetées par les banques. Depuis le programme de rachat des obligations publiques par la Banque centrale européenne (quantitative easing), le déficit budgétaire est financé par la création monétaire. Mais il ne s’agit pas de préparer le futur, il s’agit d’essayer de solder les dépenses du passé. Comme les intérêts sur ces opérations sont extrêmement faibles, et dans l’hypothèse où il ne remboursera pas – et comment ferait-il ? – on peut dire que le bénéfice de la création monétaire revient à l’Etat.

Maître de la création monétaire, l’Etat vise au contrôle de la circulation monétaire. Le système socio-fiscal a été conçu au bénéfice des citoyens. Il est aujourd’hui une formidable machine à distribuer du pouvoir d’achat ici, à en retirer là. Ce n’est jamais dans la moyenne qu’il faut juger d’une politique socio-fiscale, mais dans la multitude des exemptions qui accompagnent des situations particulières. Qui pourrait, même en utilisant les services des moteurs de recherche, faire la synthèse de toutes les transformations marginales du système socio-fiscal français, ne serait-ce que depuis 2012 ? Entre le principe de la neutralité fiscale et l’exigence de justice sociale, le curseur s’est largement déplacé. Il est vrai qu’un ministre du budget cesserait d’exister s’il souhaitait inverser la tendance !

Cependant, la concurrence entre les monnaies fait que l’on peut encore échapper aux prélèvements obligatoires en utilisant la monnaie manuelle plutôt que scripturale. Le rêve de tout homme politique est d’élargir son pouvoir sur la circulation monétaire en interdisant la première et nous avançons à grands pas dans cette direction. La France travaille sur les deux extrêmes : en demandant que les billets de 500€ soient supprimés et en autorisant le paiement par carte bancaire en dessous de 15€. Le Danemark devrait interdire prochainement tout paiement en espèces et la plupart des pays s’orientent dans des voies similaires. Bien entendu, pas question de parler de pouvoir sur la circulation monétaire ; le motif officiel était hier de lutter contre la fraude fiscale ; on y ajoute aujourd’hui la lutte contre le terrorisme.

Pourtant, considérons un instant le monde qui se dessine derrière cette transformation de la monnaie qui en fera une chose totalement virtuelle.

Le paiement est totalement dématérialisé, mais il est totalement identifié. Toutes les dépenses quelles qu’elles soient laissant désormais une trace électronique, la liberté d’aller et venir est désormais une liberté sous surveillance. Qui dira qu’il n’y a aucun risque que, demain, elle devienne une liberté sous contrôle ?

La liberté de choix est dans la nature même de la monnaie. Qui dira que, demain, elle ne soit sous contrôle électronique ? Ainsi, il devient possible d’interdire à un jeune de moins de 18 ans de payer ses achats d’alcool avec sa carte bancaire ou son Smartphone. Evidemment, il devient également possible d’interdire d’acheter un spectacle ou une publication considérés comme attentatoires à quelque grand principe. Hier, les principes étaient intangibles ; aujourd’hui, ils dépendent d’une majorité politique. Qu’y a-t-il au bout du bout de leurs mutations ?

Le pouvoir d’achat lui-même pourrait être bloqué à un certain niveau de dépense par personne, soit globalement, soit par produit. Est-ce un cauchemar ? Le rapport Meade, paru en 1978, préconisait un impôt sur la consommation dont la mise en œuvre supposait, justement, la suppression de la monnaie manuelle. Après quoi, ce n’est plus qu’une question de taux.

Encore faut-il s’assurer de la cohérence entre la personne physiquement présente et le titulaire effectif du moyen de paiement. Avec la puce intradermique, la boucle est bouclée : votre moyen de paiement, c’est votre personne même. Pratique, non ?

 

 

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