Du Smic jeunes à la prime d’activité

Cela fait maintenant plus de quarante ans que la France essaie de sortir de la difficulté d’un salaire minimum trop élevé pour certaines catégories de personnels. Une partie des jeunes sans véritable formation sont dans ce cas. Une solution serait d’ajuster leur salaire à leur productivité, ce que concède Pascal Lamy. François Hollande préfère leur donner une prime d’activité. Le prix du travail est donc un peu plus déconnecté encore de la réalité économique et personne ne pourra revenir en arrière !

Publié dans La Croix du 1er juin 2015

Le 2 avril 2014, Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, déclarait sur La Chaîne Parlementaire : « Je sais que je ne suis pas en harmonie avec une bonne partie de mes camarades socialistes, mais je pense qu’à ce niveau de chômage, il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au smic ». Un an plus tard, le 19 avril, le Président François Hollande annonce une « prime d’activité » dont les jeunes de 18 à 25 ans pourront bénéficier. Même si, a priori, cette mesure est neutre pour les entreprises, il est évident qu’elle enterre l’idée même qu’il puisse y avoir un salaire minimum spécifique aux jeunes. Quant à connaître ses conséquences, rien n’est évident et on peut s’essayer à quelques hypothèses.

L’argument en faveur d’un ajustement du salaire minimum au pouvoir d’achat des ménages est relativement simple. L’employeur ne peut verser en salaire que ce que le consommateur final accepte de payer. S’il n’y a pas d’achat, il n’y a pas d’emploi. On peut toujours essayer d’éduquer le consommateur pour qu’il accepte de payer plus cher un bien ou un service. Mais il suffit de voir quel pourboire les Français acceptent de donner dans les pays où il est laissé à sa libre appréciation pour comprendre que leur bienveillance est généralement très limitée. Les jeunes entrent dans le cadre de cette analyse si et seulement si ils sont peu formés et/ou que leur productivité est faible. Même si Martine Aubry « n’y croit pas » (Le Monde, 19 juin 1991), la modération du Smic est normalement favorable à l’emploi.

« Le smic jeunes, nous y sommes bien sûr fermement opposés » a répliqué Mme Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de la Jeunesse et des sports, lorsque Pierre Gattaz a rebondi sur l’idée avancée par Pascal Lamy (15 avril 2014). C’était oublier beaucoup de choses. En particulier, on peut considérer que les contrats en alternance, les stages et les emplois d’avenir sont trois systèmes qui sont destinés à favoriser l’apprentissage pour les jeunes. Or, ils dérogent effectivement à la règle du salaire minimum.

L’opposition de principe de Mme Vallaud-Belkacem surfe donc sur ces faits sans jamais les rencontrer. A supposer qu’elle ne soit pas pur clientélisme, quelle est donc la logique de la future prime d’activité, lorsqu’elle est étendue aux jeunes ? Selon toute vraisemblance, elle constitue une étape dans l’élargissement de l’accès des jeunes aux avantages du revenu minimum d’insertion. C’est un débat ancien qui revient périodiquement sur le devant de l’actualité depuis la création du RMI en 1988. En 1992, René Teulade, ministre des Affaires sociales et de l’intégration du Gouvernement Bérégovoy se refuse à accorder le FMI aux moins de 25 ans. En 1997, au nom des Verts, Alain Lipietz la demande sans plus de succès. Finalement, ce sera Nicolas Sarkozy qui fera le premier pas dans ce sens quand, le 1er septembre 2010, il accordera le RSA aux jeunes de moins de 25 ans pour peu qu’ils aient travaillé l’équivalent de deux ans au cours des trois dernières années.

Logiquement, même si cela est difficile à prouver avec des arguments statistiques, ce RSA-socle de 541€ entre en concurrence avec un emploi à temps partiel payé au Smic. La prime d’activité a donc un effet incitatif pour contrer l’effet désincitatif des revenus sociaux. François Hollande le dit lui-même : « On va leur donner une prime supplémentaire pour que ça puisse être avantageux de travailler ». A ce moment du discours politique, la prime d’activité est conçue pour les jeunes ayant une activité professionnelle. La question qui va très vite se poser consiste à savoir comment l’étendre au plus grand nombre.

La chose fut vite faite. Initialement, et encore dans le « projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi » tel que publié le 22 avril 2015, il est exactement écrit : « les étudiants ou les apprentis ne sont pas éligibles à la prime »[i]. Dès le lendemain, suivant les « souhaits » du Président François Hollande, le site du Ministère du travail fait savoir que « la prime d’activité serait élargie aux étudiants salariés et aux apprentis travaillant assez pour toucher au moins une rémunération de l’ordre de 80 % du SMIC ». Cette fois, l’argument relève expressément du pouvoir d’achat des jeunes. Comme l’argent distribué ici est prélevé là, cela n’a aucun impact sur l’activité macroéconomique et donc sur l’emploi.

En conclusion, on observe trois choses. Premièrement, le discours politique est certainement à géométrie variable, mais le cap à gauche est donné et poursuivi avec une belle constance sur la longue durée. Ce cap, évidemment, est la socialisation des revenus.

Deuxièmement, alors que la question posée il y a vingt ans déjà, il y a un an encore, était de savoir s’il fallait instaurer un niveau de Smic particulier pour les jeunes, la solution socialiste a été de créer une prime pour les jeunes payés au Smic, c’est-à-dire d’abonder sur une rémunération déjà trop élevée pour le marché.

Enfin, il est vraisemblable que les fausses inscriptions d’étudiants vont diminuer puisque, comme étudiant, à 25 % du Smic on ne touche rien ; comme salarié, au même niveau de rémunération, on touche 185€ mensuels de prime ! A l’inverse, les moins de 25 ans qui gagnent plus de 1,4 Smic ne toucheront rien. Après tout, ils n’avaient qu’à pas réussir ni leurs études, ni leur insertion professionnelle !

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